La Liberté Manifeste - Chapitre 4 #1
Comment Libéralie, la société de Liberté, s'organise-t-elle face aux questions de... société ?
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
Chapitre IV – La Société Libre
Bonjour Stéphane !
Stéphane : Bonjour Élie, et merci d’accepter de nous lancer dans ce qui constitue le quatrième chapitre de La Liberté Manifeste.
À cet égard, je souhaite rapidement rappeler le contexte de cette initiative. Voilà un peu plus d’un an, je me lançais avec mon ami Iaenzen Polimata dans ce projet d’une interview fleuve qui, thème après thème, chapitre après chapitre, brosserait Libéralie, la société de pleine Liberté. Les deux premiers chapitres, sur la Liberté puis sur le Droit naturel, virent vite le jour. Puis vint la guerre en Ukraine, et Iaenzen - alors très ancré en Russie - se vit pris dans un maelström fou, tant personnel que professionnel, qui le rendit difficilement disponible pour notre récent chapitre sur la Justice. Il me faut souligner l’action quotidienne de Iaenzen et combien ce projet à deux fut enrichissant pour moi. Hélas, la guerre s’éternisant, et l’appel de la Liberté pressant, l’évidence était là : nous ne pouvions continuer ainsi.
Élie a alors aimablement répondu présent pour reprendre le flambeau de la rude tâche du faux candide. Je tiens à l’en remercier ici, chaleureusement et avec enthousiasme. À nous désormais d’expliquer encore et encore la trop mystérieuse Libéralie, avec la plus grande exigence.
Élie : En un mot, qu’est-ce qu’une société libre ? En existe-t-il une quelque part ?
Stéphane : J’ai déjà eu l’occasion de donner ça et là des bribes de description de Libéralie dans les premiers chapitres, il est en effet temps de faire une synthèse en ce début de nouveau volet traitant de la société libre. En quelques lignes, je dirais que Libéralie se caractérise par une poignée de traits principaux, en lien direct avec les thèmes déjà abordés :
Libéralie est d’abord un concept, celui d’une société pleinement libre, où règne la Liberté individuelle, sans aucun privilège ni surtout aucun état et son monopole régalien.
En Libéralie, ce n’est pas le chaos et il y règne le Droit naturel avec le Principe de Non-Agression pour signature. Toutes les relations sociales sont ainsi individuellement et librement consenties ; elles se manifestent sous forme de contrats - parfois implicites cependant. Aucun droit positif, sinon les contrats.
Aucun gouvernement en Libéralie, aucun pouvoir exécutif, législatif ni judiciaire. Leur rôle, répondant à un besoin crucial, est pris en charge par une multitude diverse d’entreprises privées et indépendantes - puisque sans état ni gouvernement, la corruption ne peut exister. Le libre marché décide seuls de leurs services, mais les assurances sont les entreprises actuelles les plus semblables à ce qu’on entrevoit.
Libéralie est aussi une manière concrète de penser le monde, le monde libre. La Liberté, c’est le choix et l’expression des millions de préférences - goût, culture, affinités, etc. Ainsi, Libéralie ambitionne une Terre dont toute la surface privatisée et rendue aux hommes forme une mosaïque de territoires de souveraineté, regroupant autant de poches de résidents y vivant ensemble selon leurs préférences locales.
Enfin, Libéralie est surtout une société d’adultes responsables - elle est un peu le “Surhumain”. Comme vu auparavant, sa devise est Liberté, Inégalité, Concurrence.
Concernant la seconde question, trois éléments de réponse. Cette question nous est souvent posée ; beaucoup pensent que si Libéralie n’existe pas sur Terre, elle est dès lors impossible et utopique. Pourtant, selon cette logique, la même question aurait pu être posée pour la démocratie avant qu’elle voie le jour. On comprend ainsi que le passé n’invalide pas le futur ; que la Liberté existe et existera là où on lui donnera vie.
Ensuite, il y a le cas - célèbre chez les libertariens - du Liechtenstein. Ce pays minuscule est, que je sache, ce qui se rapproche le plus de Libéralie à ce jour - on pourra le développer. Il démontre ainsi que certaines formes de société libre existent d’ores et déjà. Mais plus généralement, enfin, des organisations libres se mettent en place spontanément partout et de tous temps. L’exemple des copropriétés immobilières est probablement le plus concret chez nous. Au-delà, une perspective historique, notamment asiatique, se trouve chez James C. Scott, par exemple, dont le Zomia et le Against The Grain montre que les sociétés libres sont la règle éternelle chez les hommes et que ce sont les états qui, depuis trop longtemps, les ont parasités.
Élie : Vous décrivez Libéralie comme “une société d’adultes” responsables. Est-ce vraiment le cas ? N’y a-t-il pas des raisons de penser qu’au contraire, les Hommes sont tout sauf responsables et qu’il convient parfois de les protéger d’eux-mêmes ?
Stéphane : Osons le dire : bien sûr, hélas, on ne peut chaque jour que le constater. Ce monde compte un nombre d’humains dont la maturité est plus que douteuse. Mais nous ne saurions tomber dans le piège que nous reprochons aux adversaires de la Liberté sur ce point. Humanistes, il nous faut être meilleurs qu’eux et faire preuve d’une humilité ambitieuse. Il nous faut donc insister sur la responsabilité et ne pas nous faire juges utilitaristes d’autrui.
Tout d’abord, parler d’adultes et d’enfants, ou de matures et immatures, responsables ou irresponsables, montre bien qu’une des missions première de tout humain consiste à faire passer sa progéniture, les jeunes générations en général, de l’enfance immature à la maturité responsable de l’adulte. Si les milliers de générations avant nous s’employèrent à cette tâche intemporelle, c’est bien parce qu’elle permit à l’humanité de traverser le temps.
Dans le cas de l’enfance, personne ne remet ainsi en cause la pertinence de rendre tout enfant autonome et responsable. Pourquoi alors faudrait-il sortir de cette pertinence quand il s’agit d’adultes ? Selon la même expérience, le droit (le concept même de responsabilité) s’est développé chez les hommes pour inciter les adultes à le rester et à répondre devant la communauté des conséquences de leur oubli de cet engagement social à le demeurer.
La première motivation de la responsabilité est donc d’accompagner l’apprentissage de l’enfant vers la civilité, ou celui des adultes déficients de même. Mais comment identifier l’adulte déficient ? C’est bien la question posée. Tous ceux qui prétendent à un altruisme à vouloir protéger ces adultes qui ne le seraient pas mettent cette question sous le tapis. Ils se placent tous implicitement - voire explicitement pour les pires - dans cette position magique où, tels des surhommes, ils pourraient valablement et avec légitimité classer l’irresponsable.
Or classer irrémédiablement quelqu’un en irresponsable, c’est lui refuser ce qu’on accorde à l’enfant, c’est lui refuser la chance de l’apprentissage vers la maturité du droit. Cela peut se concevoir dans une société, même dans une société humaniste. Les criminels à répétition sont de cette classe - les parasites de tous poils de même, sans doute. La nuance toutefois vient de la preuve apportée par le criminel - et le parasite - de son incapacité à être homme.
Qu’on ne se trompe cependant pas sur l’argument. Il ne se limite pas à contester la légitimité du jugement arbitraire d’un homme quelconque envers les autres hommes. Il consiste plutôt à souligner que ce faisant, l'utilitariste se place lui-même dans la catégorie qu’il critique. Car il démontre ainsi qu’il n’a pas assimilé le rôle social profond de la responsabilité et du droit.
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