La Liberté Manifeste - Chapitre 3 #4
La justice est le meilleur retour négocié au droit antérieur. Pas la vengeance.
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
Iaenzen : Stéphane, répondez-moi, franchement : d’après vous, tous « les actes inappropriés graves » (ceux qu’en démocratie on appelle « les crimes odieux »), peuvent-ils être « dédommagés » tout simplement par une compensation pécuniaire ? En d’autres mots : l’argent seul suffit-il pour obtenir justice ?
Stéphane : Je réponds toujours « franchement », cher Iaenzen. Mais une réponse franche n’est pas forcément un simple oui ou un simple non si la réalité du sujet est par nature plus subtile.
Tout d’abord, ce n’est pas parce qu’en démocratie actuelle la justice laisse cette confusion et ces frustrations autour de ces « crimes odieux » ou « actes graves » – dont on ne sait pas bien ce qu’ils recouvrent ni pourquoi ils sont ainsi qualifiés – que cette erreur doit forcément être reportée sur la justice en Libéralie.
Celle-ci, au contraire, s’attache à bien faire le tri et la séparation entre ce qui relève du retour au droit et de la réparation, ou dédommagement associé et ce qui relève de l’émotionnel. Il est fondamental de s’attacher à faire ce distinguo, car si sur toutes ses représentations, la justice est figurée par une balance aveugle, c’est bien pour exprimer son objectif, son obligation même, de neutralité, de froideur et d’équilibre. Il ne peut être attendu d’une justice froide et équilibrée qu’elle repose sur les émotions, qui se caractérisent par la plus parfaite irrationalité.
Un des problèmes que posent ces « crimes odieux » et autres tient à la non objectivité de la qualification. Je ne connais qu’un nombre très limité de crimes réels : le meurtre, la blessure (volontaire, bien sûr, et qui peut être objectivement plus ou moins grave), le viol et l’agression physique, le vol et les violations de contrats. Il est possible que j’en oublie, mais ce qui m’importe, c’est de souligner que a) il y a très peu de formes de crimes et b) ces crimes ne sont jamais qualifiés. Il y a crime, ou pas. Il peut être plus ou moins grave en dégâts et dommages, mais – vu de l’arbitre – il n’y a aucun « odieux » ou autre qui intervient.
Donc pour vous répondre, la justice, une fois dissociée de l’émotionnel, tente et se doit de s’approcher le plus possible du meilleur dédommagement négocié – j’insiste sur le « négocié ». Un dédommagement peut ainsi prendre une infinité de formes, mais il sera toujours in fine de même nature qu’une dette.
Par contre, il est clair qu’il existe une dimension émotionnelle à toutes les d’atrocités. Mais cela ne relève pas de la justice. Il y a d’autres mécanismes dans la société libre qui entrent en jeu pour venir donner des réponses à l’émotionnel. La réponse est donc : oui, tout peut être dédommagé sous forme de dette, mais non, cela ne signifie pas que Libéralie est sans réponse face à la réalité émotionnelle de la violence et du crime.1
Iaenzen : Dans une démocratie, la justice cherche est un des agents d’équilibre du pouvoir (selon le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire). Elle a le pouvoir donc d’annuler un contrat qui lui semble léonin. Est-ce que chez Libéralie, il n’y a aucune limitation ou régulation cherchant cet équilibre dans un contrat ? C.-à-d., un individu A prête de l’argent à un individu B, celui-ci endetté, à un taux d’intérêt de 1.000 % par an. Est-ce légitime en Libéralie ?
Stéphane : Il y a dans votre question d’abord une hypothèse relative à la démocratie et une autre sur les transactions commerciales sur lesquelles il me faut revenir pour pouvoir répondre à votre question principale sur la légitimité.
Parler ainsi de la démocratie et sa justice comme d’une personne, c’est parfait pour en illustrer l’arbitraire et l’infondé. Qui est donc cette justice à laquelle il « semblerait », on ne sait trop comment ni pourquoi, qu’un contrat librement établi pourrait être « léonin » ? Comment quiconque peut-il se placer ainsi de façon supérieure aux deux parties d’un contrat ? Et de même, quel serait le critère qui permettrait de juger avec objectivité qu’un contrat établi librement serait sans équilibre ?
En Libéralie, les choses ne se passent pas ainsi car elles sont basées sur la simple réalité nue et débarrassées des mythes qui obscurcissent l’analyse économique. Quand deux entités ou personnes passent un contrat librement, c’est-à-dire quand ce contrat est signé hors de toute forme de coercition et de droit positif illégitime, avec plein consentement donc, par ce simple geste les deux parties expriment leur intérêt à le faire – sinon, elles ne le signeraient pas et continueraient à négocier, ou quitteraient la discussion. Donc en Libéralie, tout échange et tout contrat négocié est gagnant-gagnant de façon certaine.
La question se voit alors aussitôt trouver sa réponse. Il n’y a pas de contrat léonin en Libéralie, il n’y a pas de déséquilibre, et surtout il n’y a personne pour venir interférer dans l’échange.
C’est sur ce point qu’il me faut sans doute conclure ma réponse. La question posée suppose que « la justice » démocratique peut venir spontanément juger d’un contrat et le soumettre au joug du droit positif. Un tel pouvoir d’immixtion est inconcevable dans une société libre, où il faut qu’il y ait victime pour qu’il y ait crime. Il n’y est pas non plus possible que le signataire d’un contrat se retourne vers la justice pour la seule raison que soudain il trouverait son contrat « léonin » ou sans « équilibre » : il faut une violation de contrat pour qu’il y ait crime. La question de la légitimité de la libre formation d’un contrat ne se pose pas. Ce n’est donc pas une question de justice.
Iaenzen : Vous dites que, en Libéralie la Justice a pour « première priorité, son seul objectif en fait, c’est de veiller à ce que la victime soit dédommagée. » Mais en droit positif aussi. N’est-ce pas ?
Stéphane : Vous entendez souvent parler du dédommagement des victimes, ou plus souvent de la condamnation des « coupables » ? Personnellement, je n’entends jamais comme verdict de justice que des amendes ou des peines de prisons, ou équivalent. Jamais ne n’entends parler de la justice comme ayant veillé à réparer les dommages.
En toute honnêteté, même s’il devait parfois y avoir dédommagement, demandez autour de vous la première chose que les gens associent dans leur esprit à une « peine de justice », et je doute fort que le dédommagement vienne en premier. Et demandez-vous aussi qui dédommage : je doute que ce soit souvent le « coupable ».
Encore aujourd’hui, dans les news, et je suis sûr que vous pourrez trouver bien des cas vous-même, on entendait crier « justice pour Untel ! » Quelle serait donc cette « justice » ayant à ce point les accents primaires de la revanche ou de la vengeance ?
Comme exemple majeur de non-dédommagement, caractéristique de la justice actuelle, considérons la mise en prison du « coupable ». En quoi emprisonner quiconque contribue-t-il de quelque façon à dédommager la victime ? Pire, emprisonner (en mode étatique) conduit à des coûts, qui sont en gros proportionnels à la durée d’emprisonnement, coûts qui sont forcément financés par l’impôt, lequel impôt est en partie payé par… la victime.
Ainsi, plus le crime fut grave, donc le préjudice plus important, plus l’emprisonnement a des chances d’être long et donc plus la somme cumulée des impôts que la victime devra débourser pour financer la prison de son agresseur sera importante. Pour la victime, il s’agit donc d’une double peine : où est la justice, dans un tel système ?
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