La Liberté Manifeste - Chapitre 3 #1
Après un tour d'horizon du Droit naturel, il est temps de s'intéresser à la Justice.
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
Chapitre III – La Justice
Iaenzen : Bonjour, Stéphane ! Qu’est-ce que la justice ?
Stéphane : Bonjour Iaenzen. Je crois que, d’instinct, tout le monde perçoit ce qu’est la justice. La justice est la décision légitime, prise envers un individu ayant violé le droit en vigueur, qui vise au retour à ce droit, les coûts associés étant à la charge de celui ayant commis cet acte indésirable. Pour être « justice », cette décision doit être socialement reconnue, en forme et en effets, et ne pas elle-même violer le droit.
Puisque en Libéralie le droit repose sur le principe de non-agression, la justice y vise au retour à la situation de droit d’avant toute agression. Nous connaissons tous le concept de « légitime défense ». Le méfait ayant imposé des dommages à la victime, il y a légitime défense à contraindre son responsable à la dédommager.
À cet égard, elle n’est certainement pas ce qui aujourd’hui nous est proposé sous ce terme à peu près partout dans le monde. Autrement dit, prise au sens de la Liberté et du Droit naturel, nos deux sujets fondamentaux jusqu’à présent, il n’y a de Justice véritable nulle part dans ce monde. En effet, quelle est cette justice actuelle ?
La justice actuelle, démocratique ou du moins étatique, est une justice cohérente avec le droit positif. Nous avons vu que celui-ci suppose quelque « autorité » qui établit « la loi », laquelle dirait ce qui est autorisé (le « bien ») et ce qui ne le serait pas (le « mal »). La justice prétend donc de même sanctionner le « coupable » qui aurait fait le « mal » en violant la législation d’une manière ou d’une autre. Cela semble logique, à première vue, suffisamment pour que ce soit la logique appliquée et acceptée presque partout.
Pourtant, il est fort rare que les systèmes de « justice » en place s’attachent à respecter le droit naturel et à y revenir, à dédommager les victimes et à ne pas eux-mêmes violer ce droit.
Iaenzen : Comment en résumer les principes de fonctionnement ? Sont-ils semblables ou tout à fait différents des institutions des démocraties actuelles ?
Stéphane : Je propose de donner une idée générale des institutions ou principes principaux, il sera clair à leur description combien ils n’ont rien à voir avec ceux des démocraties, ni d’ailleurs de bien d’autres formes de régimes dans l’histoire.
Prévention
Rappelons qu’en Libéralie, comme dans toute société, la protection envers le crime est un besoin qui, tel tout besoin, voit les réponses venir d’offres de services par les entreprises en concurrence sur le libre marché. Aucune option n’est fermée et l’imagination des hommes pourra faire émerger d’autres offres, mais à ce stade la grande majorité des solutions trouvées dans l’histoire relève des assurances.
Cela n’est pas vraiment une surprise, dans la mesure où l’intérêt d’un assureur qui doit payer son client en cas de conflit ou de « sinistre » est assez fort pour être le premier à le protéger en amont. Les assureurs sont donc les entreprises assurant la prévention, afin de rendre les crimes aussi rares et minimes que possible.
Réaction
Si en amont du crime, la prévention est un service qui vient des assureurs, en aval du méfait la justice repose sur des arbitres – au sens de prestataires de services d’arbitrage – plutôt que des juges au sens classique, ayant eux un rôle moral ou de sanction.
Leur fonction consiste à aider les deux parties en différend à négocier leur sortie de conflit, typiquement en les amenant à accepter un protocole où la victime se voit dédommagée, selon les pratiques en la matière, par le malfaiteur qui ainsi contracte une dette envers elle en rapport des préjudices subis et des compensations d’usage. Cette logique s’applique à absolument tout type de différends, même les meurtres.
Protocole
Par protocole, j’entends un contrat entre la victime et son agresseur, dont la bonne exécution est suivie par l’arbitre mutuellement choisi, qui agit ainsi en un rôle analogue à celui d’exécuteur de décision de justice dans le monde démocratique.
Les arbitres pourront être engagés de diverses manières selon les circonstances, avec trois cas qui se dégagent comme les plus probables. Le plus simple, ce sont deux personnes en différend qui, ne trouvant pas d’issue, peuvent convenir de faire directement appel à de tels services. Le cas général sera plutôt celui où deux « parties », individus ou entités, avaient signé un contrat avec des clauses précisant les modalités à suivre en cas de différend resté non résolu par la simple négociation, modalités comprenant le recours à un arbitre et le protocole convenus. En Libéralie plus généralement, lorsqu’un contrat lie le résident d’un territoire à l’entité qui sur ce territoire lui assure protection, un tel contrat comportera des clauses du type précédent pour couvrir les diverses situations et les services offerts en rapport.
Marché Libre
Bien que cela soit implicite dans mon propos et dans le contexte de la question, je tiens néanmoins à rappeler que ces arbitres n’ont aucun monopole et sont tous en libre concurrence sur un marché qui est donc celui de l’arbitrage, où cette pression a pour effet de pousser les arbitres à trouver les meilleurs accords, les plus équitables.
Même si j’ai donné ici un descriptif sommaire, on aura perçu combien ce mécanisme est à des années lumière des institutions en place à ce jour de par le monde. Cette « justice » est dégagée de tout lien avec le pouvoir politique, elle a des clients à servir et fait sa réputation sur la qualité des décisions qu’elle propose aux deux parties.
À noter que le rôle du (libre) marché, via sa concurrence, est d’assurer que la probabilité qu’un arbitre A1 arrive à un accord X quand un autre A2 arriverait à un accord Y (radicalement différent) reste faible : l’incompétence est vite éliminée quand le marché est concurrentiel. Mais attention, il est tout aussi important que cette possibilité de différence existe, car sinon, aucune amélioration ne pourrait jamais être apportée à la qualité de l’arbitrage. Voilà deux propriétés qui sont totalement absentes de la justice étatiste que l’on connaît autour de nous.
Contrats
Le point d’ancrage des assureurs et des arbitres dans les institutions de Libéralie vient des contrats qui en font le socle. Ainsi, deux cas « standards » se présentent, outre un cas « limite » plus rare. Le premier et le plus souple correspond à un territoire où chacun est laissé totalement libre de trouver et choisir ses solutions de sécurité, mais ne peut pas ne pas en avoir sélectionnées. Le second, que je crois plus probable in fine, décrit un modèle où les différents territoires proposent chacun une gamme présélectionnée de services de sécurité. Le cas limite étant celui où aucune exigence n’existe.
Dans le cas limite, si deux personnes entrent en conflit, qu’un différend vient à se produire où la victime a besoin d’en appeler à un arbitre pour obtenir réparation, la complexité viendra de l’absence probable de lien contractuel entre la victime et le criminel. Pour mieux saisir, je reviens au scénario le plus souple.
Résidence
Ici, tous les résidents du territoire ont un contrat entre eux et le territoire (l’entité qui en est responsable, une entreprise ou une copropriété, typiquement). Par hypothèse, ce contrat prévoit que chaque résident doit, a l’obligation, de pourvoir à sa protection par la contractualisation de services auprès d’entreprises. La victime a alors la certitude que son agresseur est lui aussi ainsi protégé et donc que ses fournisseurs peuvent entrer en contact avec les fournisseurs similaires de son agresseur.
À ce stade de la description, on aura compris que la procédure enclenchée par un différend finit par être prise en charge par les assureurs des deux parties, via la chaîne des contrats en place. On comprend aussi qu’il n’y a pas de police telle que nous la connaissons. À la place, tout repose sur la prévention à base d’engagement par les contrats, donc non-oppressive et sans agression possible – sauf accident.
Riche & Pauvre
Considérant deux personnes en différend, elles peuvent n’avoir aucun lien contractuel ; ou bien, elles peuvent ne pas avoir de lien direct, mais avoir chacune un contrat de protection auprès d’une compagnie d’assurance ; enfin, elles peuvent être toutes deux résidentes d’un même territoire selon un contrat qui prévoit indirectement les modalités applicables en cet endroit.
Dans ce dernier cas, un « pauvre » qui agresserait un « riche » serait aussitôt représenté par quelque assureur qui pourra et devra négocier sa dette auprès de l’assureur adverse, ou directement auprès de la victime. L’assureur du « pauvre » se retournera vers son client et c’est lui qui aura le droit, du fait de leur contrat, de contraindre son client à rembourser sa dette, d’une façon ou d’une autre. Il n’y a pas en Libéralie d’inégalité due à la fortune ni même à l’imprévoyance dans un tel schéma.
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