La Liberté Manifeste - Chapitre 3 #2
Les principes de fonctionnement posés, entrons dans les détails de la justice libre.
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
Iaenzen : Le droit positif délègue la justice à différents « auxiliaires » (les juges, les avocats, la police, etc.). En absence de toute sorte de pouvoir, qui sont ses agents en Libéralie ?
Stéphane : En Libéralie, tout se passe au niveau des individus et au niveau du marché libre. Il faut donc, pour répondre, revenir à ce qu’il pourrait se passer à ce niveau du marché de la justice.
Première différence, ce n’est pas ni le droit positif, ni une « autorité », ni l’état qui délègue (selon votre expression) son « pouvoir » à des agents, puisqu’il n’y pas d’entité centrale en Libéralie. Seconde différence, s’il y a des juges en Libéralie, qu’on devrait d’ailleurs plutôt appeler des arbitres car ils ne produisent aucun jugement de valeur, mais veillent plutôt à trouver le meilleur compromis entre les parties prenantes d’un conflit, il est peu probable qu’on y trouve des avocats tels qu’on les connaît (y compris au sens anglais de « lawyers » ou de « barristers ») et encore moins des policiers tels qu’on les subit dans ce monde.
Puisqu’en Libéralie tout repose sur le contrat, il en est bien sûr de même concernant les services de protection, dont la justice. De nombreux autres modèles sont sans doute imaginables et possibles, mais la plupart des solutions envisagées à ce jour chez les libertariens font jouer un rôle central aux compagnies d’assurance, dont les services constituent un équilibre entre la réparation en cas l’agression (au sens large) et les mesures de réduction des risques spécifiques à négocier avec l’individu.
On pourra sans doute voir émerger une multitude de services juridiques, souvent peu connus ou peu développés à ce jour, par exemple pour aider les entreprises et même les particuliers à rédiger leurs contrats de manière à y inclure les bonnes assurances, mot pris ici au sens premier c.-à-d. les clauses à activer entre parties en cas de conflit.
Mais si je ne peux répondre exhaustivement, parce que les acteurs réels de la protection seront par nature le fruit de l’activité économique connue en Libéralie dans ce secteur, on voit néanmoins par ces quelques éléments que le modèle d’organisation actuel de la justice, et de la police de même, n’a rien à voir avec celui de la Liberté.
Iaenzen : Si je suis victime d’un acte criminel, d’une agression au sens large, n’est-ce pas à moi de décider comment je souhaite être dédommagé ? Le juge-arbitre que vous proposez n’est-il pas un tiers qui s’impose à moi tout comme en démocratie le juge étatique m’y impose son verdict ?
Stéphane : Sur la première question, la réponse est ‘non mais’. Non, ce n’est pas à vous seul de décider, car cela ouvrirait la porte aux abus envers le malfaiteur. C’est un conflit entre vous deux, donc cela doit se négocier entre vous deux. L’arbitre n’est que l’aide à la négociation. Mais de ce fait, vous co-décidez du dédommagement, et ainsi vous êtes sûr que ce dédommagement, quels qu’en soient la forme, les modalités et les montants, sera d’un « niveau » qui aura trouvé votre propre accord. C’est donc un faux problème.
De la même manière sur la seconde question, l’arbitre n’est pas là pour vous imposer quoi que ce soit, puisqu’au final c’est vous qui donnerez votre accord à ce qui aura été négocié.
Iaenzen : Cher Stéphane, vous savez combien je m’inquiète du poids des mots, du bon usage de la terminologie. Je voudrais donc vous demander une précision, de la perspective libertarienne, sur ces trois mots : « crime », « violation » et « agression ».
Stéphane : Bien sûr, et vous avez raison de veiller à être précis et rigoureux, je m’y attache de même. Ici, c’est assez simple, je crois, je me réfère à nos chapitres précédents.
Un crime est l’expression juridique et judiciaire associée au fait d’un non-respect du droit (naturel, avec ses contrats). Un criminel est l’auteur, l’acteur avéré d’un crime. Un crime est toujours une violation du droit, ce qui est la même chose qu’une violation de la propriété privée. Il ne peut y avoir crime s’il n’y a pas violation du droit. Une telle violation est toujours considérée comme une agression, mais une agression est aussi un acte de violence, ou de menace manifeste de violence, qui matérialise un manquement au respect du droit, sa violation, et donne aussitôt droit à la légitime défense.1
Iaenzen : Vous dites qu’en Libéralie la Justice se négocie. Cela semble contredire l’idée de dédommagement, le retour à l’état initial des choses. Ainsi, si vous me devez 14, alors vous devez me payer 14. Si l’on parle de dédommager, je ne vois pas quoi « négocier ». Ou sinon, que voulez-vous dire par « négocier » ?
Stéphane : Mais Iaenzen, bien au contraire, c’est tout à fait cohérent. Pour le voir, je crois qu’il faut revenir au rôle de l’arbitre et aux principes de base du Droit, à savoir la légitime défense et la proportionnalité de la réparation.
Tout d’abord, vous supposez que je vous devrais 14, mais d’où provient ce montant ? Il a bien fallu que l’arbitre en produise l’estimation, et comme toute estimation, elle est a priori sujette à erreur, divergence d’appréciation et d’évaluation. Il y a en effet bien des situations où, méthode aidant, il y aura peu de place pour le différend sur le chiffre, mais inversement nombreux sont les cas, tel le meurtre, où il ne peut qu’y avoir contestation. Car bien sûr, le malfaiteur peut contester le montant : il doit pouvoir contester un montant qui serait selon lui abusif. Le rôle de l’arbitre, comme son nom l’indique, est bien de négocier au mieux le montant de la dette et d’obtenir l’accord de la victime et l’engagement du malfaiteur à en rembourser la somme.
Si cela peut choquer d’entendre que le malfaiteur peut négocier sa propre dette, c’est pourtant tout ce qu’il y a de logique. Une fois avéré et confirmé que le malfaiteur est responsable de l’acte qui lui est reproché, sa victime est en situation de légitime défense et c’est ce droit qui lui permet d’exiger de son agresseur de le dédommager du montant de la dette négociée – ou de toutes autres modalités. On peut résumer ce point en disant que la légitime défense (est le seul cas où le droit) donne à la victime le droit d’exiger de l’individu malfaiteur qu’il le rembourse intégralement de sa dette.
Mais si la victime a ainsi le droit et l’assurance du principe d’un dédommagement, cela ne lui donne pour autant en rien le droit d’un dédommagement qui ne serait pas en proportion avec le méfait. Car alors, le malfaiteur deviendrait à son tour victime et serait en droit de porter plainte pour vol ou fraude.
Ainsi, les étapes sont claires. L’arbitre propose une estimation du dédommagement ; les deux parties la négocient, autrement dit tombent d’accord sur sa pertinence, car le malfaiteur devra en assumer la dette sans plus prétendre alors à un recours ; puis le verdict final est une forme de contrat entre les deux parties, dont l’arbitre veillera à l’exécution.
Notez au passage qu’un tel processus rend inutile et pur bavardage les notions judiciaires pourtant classiques de l’appel et de la cassation. L’appel reste possible, mais il n’est guère qu’une autre affaire, un autre conflit. Le concept de cassation est de même inutile, et même vide de sens car le crime de départ est bien là. Dans les deux cas, il ne s’agit guère que d’un conflit envers un arbitre qui n’aurait pas mené une affaire selon les normes établies et convenues avec ses clients dès son début. Les choses sont toujours plus simples et plus cohérentes en Libéralie.
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à Lettres de Libéralie pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.