Vous avez dit "Réciprocité" ?
L’Ethique de la Liberté embarque plus de réciprocité que certains le pensent...
Vers l’Infini…
On rencontre régulièrement, et encore il y a quelques jours ou semaines, des personnes qui imaginent, qui sont même convaincues, d’avoir trouvé la faille dans la doctrine libertarienne, la faille — trait de génie — qui mettrait tout l’édifice par terre.
Voici qu’un certain Curt Doolittle, qui publie le site du Natural Law Institute, vient défendre l’idée que la moralité serait caractérisée par la réciprocité, et que l’éthique rothbardienne (c-à-d l’éthique libertarienne) serait immorale car le Principe de Non-Agression, s’il se base sur le volontarisme, permettrait néanmoins la non-réciprocité.
Pour être plus simple, Curt Doolittle (CD) prétend avoir trouvé, avec ce concept de réciprocité, une notion à la fois plus intime à la civilité / civilisation et plus profonde que l’Ethique de la Liberté, l’autre manière d’exprimer le Principe de Non Agression. Lequel principe aboutirait parfois à de la non-réciprocité, donc serait parfois immoral.
Dans ce texte, CD définit la réciprocité comme suit :
«Reciprocity consists of productive, fully informed, warrantied, voluntary transfer free of imposition of costs upon the demonstrated interests of others by externality.»
Il est toujours utile, il est même essentiel, que certains “rebelles”, disons, continuent de pousser les limites du cadre théorique, comme cela se fait en science physique par exemple. Cependant, trois conditions — au moins — sont requises pour que de tels travaux puissent aboutir à un niveau de validité à même de bousculer les acquis.
Il faut en effet :
Que le concept proposé repose sur une définition libre de toute contradiction.
Que le concept soit légitime, c-à-d qu’il soit un axiome — qu’il faudra prouver comme tel — ou bien qu’il dérive logiquement d’un axiome établi ou équivalent.
Qu’il s’inscrive et soit compatible avec la structure logico-déductive de toute la doctrine libertarienne, de façon à conserver et renforcer la cohérence d’ensemble.
Contradictions
S’il l’on reprend sa définition, ici1, j’ai mis trois mots qui me semblent y poser problème, ne me semblant pas de nature à intégrer cela dans la doctrine. Voyons cela.
Fully informed (Pleinement informé) : Quel est le critère de ce “fully” ? On comprend que lors d’un échange, les deux acteurs doivent être “pleinement” informés pour qu’il puisse y avoir réciprocité. On comprend qu’il s’agit d’éviter les tromperies, les escroqueries. Soit. Mais qui informe et comment, jusqu’à quel point, avec quelle légitimité à le faire ? Qui peut être légitime à suffisamment informer les acteurs économiques, sinon eux-mêmes ? Vivre est incertitude.
Warrantied (Garanti) : Pourquoi faudrait-il une garantie obligatoire ? Une garantie suppose de répondre à un risque. Or vivre étant prendre des risques, prendre ou pas des garanties constitue le cœur même de l’acte de vivre. Qui peut se placer en substitution de l’acteur lui-même pour savoir quand se garantir ?
Demonstrated Interest (Intérêt démontré) : Pourquoi ce demonstrated ? On se souvient que la valeur étant subjective, il n’y a aucun moyen de la mesurer, de la connaître, à part par le constat de sa manifestation au moment d’un échange libre. Il est ainsi encore plus difficile d’espérer saisir la moindre trace de ce qui constitue l’intérêt de nos semblables. On peut certes les imaginer, les argumenter, mais il est illusoire de les voir se montrer ou démontrer. Je crains fort que penser que l’intérêt d’autrui puisse être démontré relève de la basse pensée utilitariste.
Au-delà de ces quelques remarques, si l’on lit la réciprocité comme une forme de généralisation de la gratuité — les externalités positives issues de l’action humaine — le sujet tombe à pic, puisque c’est précisément l’objet d’un livre entier de Jörg Guido Hülsmann (figure austro-anarcap du Mises Institute) qu’il vient de publier, où il montre que la gratuité est partout dans l’Anarcapie / Libéralie, c’est-à-dire partout dans la société fonctionnant selon la doctrine libertarienne.
Plus fondamentalement, tout dans l’Anarcapie reposant sur le consentement et le commerce, la libre négociation est absolument partout, laquelle embarque par essence le consentement et par suite la réciprocité : N’est-ce pas la nature même de la négociation que de laisser les deux parties engagées trouver par elles-mêmes le meilleur équilibre de valeur mutuelle échangée ? Elle est une des raisons profondes qui font qu’il n’y a pas d’externalités en théorie économique autrichienne ; parce que positives ou négatives, elles sont prise en compte et réglées par la négociation.
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