Manifeste "Techno-Optimiste"
Non, notre civilisation ne fut pas "bâtie sur la technologie"...
Manifeste
Un certain Marc Andreessen fait parler de lui dans des cercles souvent proches de nos réseaux libertariens, avec assez de séduction pour me motiver à décrypter ses travaux.
Il est plus spécialement connu pour avoir rédigé un “Manifeste Techno-Optimiste”, accessible ici, se terminant par une liste d’auteurs qui confirme sa probable proximité.
Ce texte est intéressant à divers égards, mais il m’appartient ici de ne le lire, de ne le décrypter qu’à la lumière de sa cohérence ou compatibilité avec la vision libertarienne de la Liberté, ce qui passe aussi par lire l’enchevêtrement intime entre les concepts de Liberté, de Droit naturel et de technologie, celle-ci étant au cœur de ce “Manifeste”.
J’ai déjà écrit, il y a bien longtemps, sur le lien général entre technologie et droit naturel. Ce qui est dingue, c’est que les mêmes confusions reviennent encore, encore.
Comme c’est à mon habitude, j’ai retenu un florilège limité d’extraits de ce texte, assez pour en montrer les limites ou les faiblesses fondamentales quant à la Liberté. Ah oui, je reproduis ici les extraits originaux en anglais, mais j’en ai fait la traduction en notes.
“On Nous Ment”
Le texte commence par quelques phrases que je ne peux que reprendre à mon compte:
We are being lied to.
We are told that technology takes our jobs, reduces our wages, increases inequality…1
Il a cent fois raison. On nous ment. Partout, tout le temps. Et en effet, on nous ment sur cet aspect : Non, en effet, ce n’est pas la technologie qui est le mal économique. Je pense au petit livre de Ludwig von Mises, “Six Leçons”, qui par ex. explique les raisons fort simples qui sont à la base du chômage — et la technologie n’est pas dans sa liste.
(J’ai raccourci l’extrait, parce qu’on l’aura compris, pour l’auteur, l’axe central de sa thèse est la technologie. Il faut de la technologie, encore de la technologie, toujours de la technologie…)
Puis aussitôt, Marc Andreessen (MA) nous propose de nous présenter la “Vérité”, en réponse à ces mensonges.
Vérité
Our civilization was built on technology.
Our civilization is built on technology.
Technology is the glory of human ambition and achievement, the spearhead of progress, and the realization of our potential.
For hundreds of years, we properly glorified this – until recently.
I am here to bring the good news.
We can advance to a far superior way of living, and of being.
We have the tools, the systems, the ideas.
We have the will.
It is time, once again, to raise the technology flag.
It is time to be Techno-Optimists.2
J’ai gardé ce paragraphe dans son intégralité, car il est déterminant pour toute la suite.
«Notre civilisation fut bâtie sur la technologie». Non. Non. Non. C’est l’erreur de fond.
Notre civilisation fut bâtie sur le (respect du) Droit naturel (DN). C’est parce que le DN est/était respecté que les entrepreneurs disposaient de la sécurité et de l’espoir de sécurité qu’ils pouvaient se permettre de parier sur l’avenir en inventant de nouvelles technologies. La technologie est impensable sans le préalable respect du Droit.
Ce n’est pas parce que les <beeep>3 sont idiots qu’ils ne produisent pas de nouvelle technologie — ou si peu ; c’est parce que leur droit ne leur en donne pas la motivation.
Bien sûr, notre prospérité a quant à elle été le résultat d’un boom, d’un développement technologique sans précédent, et l’avenir est à un développement technologique sans précédent. Je ne discuterai pas une seule seconde cette analyse et cette ambition.
Mais tout cela n’a de sens qu’à la condition que le DN — et non pas le droit positif des états démocratiques, qui tous brident l’innovation et l’investissement — soit en place.4
Or, je constate que nulle part MA n’évoque cette exigence, cette nécessité du Droit. Là est son erreur de fond et ma divergence principale d’avec ses thèses. Avant d’avoir besoin de technologie, et pour elle, nous avons besoin de Droit naturel et de Liberté.
Marché
We believe free markets are the most effective way to organize a technological economy.
We believe markets are an inherently individualistic way to achieve superior collective outcomes.5
Vient donc ensuite le marché, la scène économique. Autre source de divergences.
“The most effective way”. Les marchés libres n’importeraient pas en tant que libres, mais parce qu’ils seraient plus efficaces ? Ce n’est pas entièrement faux, mais il y a là néanmoins une double incohérence par rapport à ses doléances précédentes.
Ce qui importe dans le Marché (il n’y a qu’un seul marché), c’est qu’il soit libre, pour sa Liberté même. Car si l’objectif est la meilleure technologie possible, le plus possible et le plus vite possible, il faut disposer de tous les degrés de Liberté. On se fiche, de ce point de vue là, de l’efficacité : elle découlera des effet de la Liberté. Ce n’est pas le Marché qui est efficace, c’est la Liberté qu’il dynamise.
Raisonner en efficacité, laisser entendre que la question de l’efficacité se pose, c’est ouvrir la porte à une forme d’utilitarisme, c.-à-d. de socialisme. Quelle sera la métrique (ou le jeu de métriques) d’utilité qui servira d’oracle ? Qui en décidera ? Qui validera les mesures ? Qui arbitrera les décisions de technologie en fonction ?
Pour que la technologie libère6, il faut libérer la technologie de tout utilitarisme.
La Machine “Techno-Capital”
Combine technology and markets and you get what Nick Land has termed the techno-capital machine, the engine of perpetual material creation, growth, and abundance.7
J’avoue ne pas connaître Nick Lang par cœur, mais il me semble pourtant bien qu’ici, ce qui est exprimé n’est autre qu’une trivialité. Avec en plus un gros trou, un gouffre.
Je pense que si je devais compter le nombre d’auteurs (Milton Friedman vient aussitôt à l’esprit) qui se sont fait les apologistes de la croissance et de la folle prospérité grâce à la dynamique du Marché libre, je crois bien qu’un billet comme celui-ci ne suffirait pas. Il en donne plusieurs lui-même : Adam Smith, David Ricardo, Johan Norberg, etc.
Par contre, on retrouve la même erreur. Ce rêve ne tient la route qu’à la condition que durant toute cette magnifique Route de la Béatitude, la pleine Liberté soit préservée. Sinon, on retomberait vite au sein d’une inventivité technologique bridée, limitée.
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