Le Capital : Financer l’Entreprise
Deuxième partie : Nous travaillons tous pour le client, et non pour le patron.
Le mystère du financement de l’entreprise
Le financement d’une entreprise par le seul capital (voir la première partie ici), ou l’emprunt de même, est une illusion. Car au quotidien, c’est la vente des biens et services qu’elle offre à ses clients qui finance l’entreprise dans la durée. C’est l’échange à titre onéreux, le commerce, qui donne de la valeur, et non la production. Une entreprise qui produit mais ne vend pas n’a aucune valeur économique et commerciale.
Pas de client, pas de chiffre d’affaires, pas de revenu, pas d’emploi, pas de création de richesse, pas de remboursement d’emprunts, pas de «valeur ajoutée», pas de «plus-value», pas de «survaleur», pas de «formation brute de capital fixe», pas de capital non plus…
Le capital lance l’entreprise
Imaginons. Jules veut créer une entreprise : c’est un entrepreneur, futur créateur de richesse, si tout se passe bien. Au début de l’activité, il n’a évidemment pas encore de client, mais il faut bien, pour pouvoir commencer – outre une idée géniale et beaucoup d’engagement, de courage et de détermination – un peu d’argent pour quelque matériel, de la bureautique, un véhicule de fonction, un local et tout simplement de quoi vivre en attendant que le chiffre d’affaires décolle et lui permette de donner à l’entreprise une vie autonome.
On peut d’ailleurs lancer une activité, créer une entreprise presque sans «capital» et sans recourir à l’emprunt. Ainsi, une activité de service nécessitera à sa création moins de financement qu’une activité de production industrielle. Le mécanisme est néanmoins le même, quel que soit le secteur ou l’intensité capitalistique nécessaire : il faut pouvoir lancer l’entreprise et tenir jusqu’aux premiers clients et leur argent, qui prendra vite le relai et fera oublier le besoin de capital du tout début.
Le créateur de l’entreprise va évaluer au plus juste son besoin en attendant le début d’activité, les premières commandes (ventes) les premiers encaissements. Lorsque l’entreprise, une fois lancée, atteint sa vitesse de croisière, le capital perd tout son intérêt, tout son sens : la clientèle apporte en continu le flux financier nécessaire à l’entreprise.
J’ai retiré la couche de crasse, de poussières, le recouvrement par les peintures plus ou moins marxistes successives. En décapant le concept voici ce qui apparait. Il n’est pas plus compliqué.
Le capital, c’est une amorce, une avance sur recettes. C’est aussi vrai de l’emprunt. En aucun cas le banquier ne finance une entreprise. L’emprunt n’est qu’une source de capital comme une autre.
Épargne ou emprunt, qu’importe
Imaginons, que vous ayez bien prévu de créer votre entreprise en mettant de l’argent de côté, en épargnant. La problématique est la même qu’avec l’emprunt, il faut pouvoir commencer l’activité, amorcer le flux de revenus. Vous investissez dix mille euros d’épargne pour lancer l’activité. C’est, nous l’avons vu, ce qu’on appelle le capital, la somme des apports du ou des associés pour lancer l’activité. Le «Capital» avec un «C» majuscule, celui qui dure et exploite, n’existe pas en économie.
Maintenant, la prospection a été bien menée, vous avez vos premiers clients. Ils vous permettent de payer vos frais et les salaires, ils vous permettent d’espérer maintenir la valeur de votre apport.
Le capital, c’est tout simplement de l’épargne affectée à la création ou au développement de l’entreprise, avant d’avoir une cohorte de clients solvables qui la fera vivre sur la durée. Le temps pour se constituer sa clientèle est variable, il peut aussi bien être bref que s’étaler sur des années.
Physiquement cet «argent», cette somme apportée, ce capital-comptable affiché n’existe pas ou plus. Il n’est pas confiné dans un coffre, c’est déjà de l’histoire ancienne, on l’affiche pour mémoire. Il a servi à constituer du stock, à acquérir quelque matériel, avoir de quoi vivre, tout simplement, avec quelques sommes conservées en trésorerie.
Combien vaut cette entreprise ?
Il faut le marteler : seul le client finance l’entreprise. Bien sûr, l’entreprise, l’activité créée, prendra du poids avec des investissements, des locaux, des machines, des moyens de transport.
Quelle est la valeur de cet ensemble ? Combien vaut cette entreprise ? Combien vaut ce «capital» ? Personne ne le sait. Pourtant, il y a bien désormais une entreprise et un ou plusieurs propriétaires, peut-être un premier salarié. Ce que l’on connait ce sont les dépenses qui ont été nécessaires au démarrage de l’activité : on dispose des factures, des relevés bancaires, des contrats.
Mais pour connaitre la valeur réelle, il faudrait la vendre ! Car il convient de se souvenir que seul l’échange, la vente et l’achat, donne un prix et une valeur aux choses. Les calculs comptables donneront une approximation, mais nous sommes là dans la spéculation, la supputation.
On fera une évaluation, qu’on pourra appeler «actif net» si l’on veut. Un beau calcul, qui permet de penser à celui qui va vendre l’activité, de se donner des points de repère, d’afficher un prix de vente, une estimation. En fonction de cet «actif net», le vendeur de l’entreprise proposera un prix. Mon entreprise vaut tant… Mais si l’on ne trouve pas d’acheteur, tout repart à zéro, la valeur s’efface.
On connaîtra la valeur si quelqu’un achète l’entreprise, à l’instant ultime de la transaction. Si personne n’en veut, sa valeur est égale à zéro. Une part de propriété d’entreprise, part sociale ou action n’a qu’une valeur supposée, rêvée, fantasmée. Au moindre faux pas, c’est le «adieu veau, vache, cochon, couvée» de la fable.
On peut vendre des bonbons, des camions ou des produits financiers, le mécanisme économique est toujours le même. Les montants seront plus ou moins impressionnants, les valeurs encore plus volatiles. Cela ne change rien à l’affaire.
Mais alors, le capital financier ? C’est quoi, l’accumulation primitive du capital ? La formation brute de capital fixe, cela fait savant, mais cela ne donne pas de valeur réelle.
Quid du banquier ?
J’ai une épargne que je mets à disposition de l’entreprise en attendant les recettes : c’est ce qu’on appelle le capital, apport des propriétaires – les actionnaires – au moment de la création . Techniquement, tout disparait très vite au fur et à mesure du démarrage. Je rêve juste de récupérer tout ou partie de ce que j’ai apporté, par mon activité et donc par les ventes, par le chiffre d’affaires, donc par les clients. Sinon, j’aurai tout perdu, à part en bas du papier à en-tête : Capital : 50 000 €.
Je vais voir le banquier. Il commence par demander quel est mon apport… Ben oui ! il ne va pas prendre trop de risque et il veut savoir ce que vous êtes prêts à perdre avec votre projet. Si vous n’y croyez pas, pourquoi le devrait-il ? Il m’accordera dans le meilleur des cas une «avance sur recettes».
Voilà qu’il me dit qu’il me finance : c’est un prêt. Pour lui, vous «financer» ça fait sérieux, important, engagé, généreux, responsable. Mais de mon point de vue ce n’est qu’un emprunt qu’il me faudra rembourser, majoré des intérêts. Dire pour le banquier «je vais financer votre projet», c’est une présentation «marketing», un emballage cadeau de la part de ce fournisseur particulier. Car c’est bien moi qui devrai payer son cadeau. Ce qui n’est possible que si j’ai assez de clients solvables.
Ce sont eux qui m’apportent la trésorerie, le «cash-flow», pour le faire. C’est donc bien le client qui en fin de compte me finance, et non le banquier. Celui-ci prend des risques en me faisant l’avance, certes, comme tous les autres fournisseurs de matériel, de véhicules, de services informatiques, de campagne publicitaire, de personnel intérimaire, etc. que je devrai payer régulièrement.
Et les salaires ? Et la protection sociale ?
Les employés travaillent contre rémunération. Mais d’où vient l’argent pour régler les salaires et les charges sociales ? Le client vous dis-je, poumon de l’entreprise ! Le vrai patron, c’est le client. Je ne suis pas payé pour faire des heures de travail, mais pour participer à la satisfaction du client.
Lorsque l’état crée ou augmente un impôt, une taxe, qui la paie ? Pas l’entreprise, mais le client ! Pour survivre, l’entrepreneur doit, autant que faire se peut, reporter la nouvelle charge sur le client.
Mettons à jour la ritournelle : pas de client satisfait, pas de recettes, pas de revenu, pas de charges sociales, pas de primes, pas de bénéfice, pas de profit, pas de dividendes… Rien de tout ça.
Nous travaillons tous pour le client, et non pour le patron, car c’est lui qui nous paie. C’est lui, dans la vraie vie, qui nous finance. Le financeur d’une entreprise c’est toujours et uniquement le client.
Mythe du Capital
Le capital indispensable est un mythe. Nous entendons cela souvent, lorsqu’une entreprise est en difficulté. C’est le cas d’entreprises publiques : les journalistes annoncent fièrement que l’État va recapitaliser, comme si recapitaliser allait apporter des clients comme par magie. C’est cocasse quand on y pense. Et puis après ? Si le client n’est pas là, cela n’ira de toute façon pas plus loin. On peut accumuler tout le «capital» que l’on veut, ça bouche les trous pour ne pas couler trop vite. Dans le meilleur des cas, ça prépare l’avenir en attendant que le vrai financier arrive, toujours incertain.
Face à des difficultés financières, des projets de sauvegarde, de licenciements, les salariés ne comprennent pas et disent : nous avons un super outil de production, une image positive, des compétences éprouvées, un savoir-faire indéniable. Oui, mais sans clients, c’est l’impasse.
On a vu de la même manière des sociétés en difficulté se faire prolonger par une création d’une Société coopérative dont les salariés sont les actionnaires. Cette solution miracle serait à même de sauver l’emploi, le capitaliste ayant échoué. Hélas, les difficultés sont généralement liées au manque de clientèle solvable. Ce qui compte ce n’est pas le statut juridique, le montant ou la forme du capital qui importe. S’il n’y a pas de débouché commercial, la nouvelle société rencontrera le même échec.
Alain C. Toullec