Précis du capital.
Le capital ! Que de crimes commis en son nom ! C’est pourtant simple. Nous nageons dans la confusion, car les prédateurs, tous ceux qui ont confisqué la connaissance économique pour des objectifs de prise de pouvoir, en ont fait des enjeux politiques. Le capital ne pouvait y échapper.
Ma vie a été consacrée à l’enseignement de pratiques, de sujets, de thèmes très variés. J’en suis arrivé à la conviction que le plus souvent, «Enseigner, c’est compliquer». Il n’y a pas de faute. Le «prof», le spécialiste, met tout en œuvre pour rendre les notions simples confuses. L’enseignement de l’économie, et spécifiquement concernant le «capital» en est un excellent exemple.
L’objectif n’est pas de comprendre les mécanismes de la science économique, mais de susciter l’indignation et la révolte contre les injustices et les inégalités, créées — dit-on — par les prétendues «défaillances de l’économie de marché». Or on n’enseigne pas «l’Économie» mais les «Sciences Économiques et Sociales» : d’emblée le nom de la matière est faussé, elle est plurielle et sociale. Dans cet esprit, le «capital» est réduit à un vecteur de stigmatisation, d’indignation, d’agenda politique, de militance.
Une question simple sans réponse
Je propose de nettoyer le capital des couches de propagande successives pour retrouver l’essentiel : je propose une définition particulièrement non conformiste, que l’on ne trouvera — probablement — nulle part ailleurs.
À chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j’ai posé systématiquement pendant de nombreuses années à mes étudiants post bac la question suivante :
« Sur le papier à en-tête ou sur son site, une entreprise affiche un capital de 150 000 € : de quoi s’agit- il ? »
Après des années de pratiques, y compris et surtout, avec des jeunes bacheliers en Sciences Économiques et Sociales — tous les lycéens subissent en classe de seconde un cours de S.E.S — je n’ai jamais eu de leur part la bonne réponse. Je précise que c’est tout aussi vrai des «bons» élèves qui ont bien appris leur cours. Pourtant, le «capital», c’est important, non ? N’est-ce pas le titre d’un ouvrage majeur, incontournable, indiscutable, et inattaquable ? N’est-ce pas de cette classe oppressive, propriétaire des moyens de production, que vient tous les malheurs du monde ?
Dans le meilleur des cas, je n’ai obtenu que les réponses suivantes : c’est la richesse de l’entreprise, tous les biens quelle possède, son actif, sa valeur… Et ça ne mérite certes pas trois volumes.
Lorsque j’étais professeur d’économie et de gestion en Lycée, j’ai demandé à un de mes collègues professeur de Sciences Économiques et Sociales : Comment faites-vous pour enseigner l’Économie en faisant abstraction des connaissances minimales de la comptabilité et de la gestion ? Ce bon professeur de S.E.S, me répondit ingénument : «C’est que nous ne sommes pas des profs d’économie, mais de socio.» (Socio pour sociologie, l’apocope est de rigueur dans le cas présent.)
C’est vrai, présenter le capital comme le montant de l’apport des propriétaires à l’entreprise, ce n’est pas très «socio». C’est simple, compréhensible et ça ne nourrit pas l’indignation. «Mais tu triches, fulmina mon collègue de Sciences Éco ! Nous ne parlons pas de la même chose».
C’est bien ce que je vous reproche ! C’est un mot-caméléon qui prend la couleur de son environnement ; il est utilisé de manière différente selon les circonstances et l’engagement idéologique, ce qui entraine une confusion irrémédiable.
Le décrassage du capital
Le capital au sens du «grand capital», c’est une catégorie de personnes, un ennemi imaginaire, le moulin à vent des Don Quichotte modernes. Une idéalisation et non un substantif ayant une définition précise et technique. Ce n’est pas de l’Économie, mais bien directement une étiquette politique.
On peut lire des milliers de pages sur la notion de «capital» et ne toujours pas comprendre où les auteurs veulent en venir. Il est urgent de revenir à la source : il faut décaper le tableau, retirer la poussière, la crasse de la pollution accumulée à travers les siècles pour retrouver les bonnes couleurs. À l’instar des tableaux rénovés de Michel-Ange, par exemple, ayant fait apparaitre des couleurs vives pour ne pas dire criardes. Le nettoyage a permis de révéler les intentions de l’artiste.
Dans la vraie vie, tout le monde peut comprendre ce qu’est le capital. Il suffit d’adapter le vocabulaire. Si je propose par exemple la mise en place d’une retraite par capitalisation, mon interlocuteur se réveillera indigné. Il y a «capital», dedans, mot d’une charge émotionnelle négative extrême. Le rejet est immédiat.
Si vous posez la question à votre entourage : trouves-tu normal d’économiser pour tes vieux jours ? Votre interlocuteur sera d’accord. Épargner c’est le bon sens. On vit le même phénomène avec le profit : Si vous dites qu’il est légitime pour une entreprise de réaliser des «bénéfices», vous obtiendrez un haussement d’épaule d’évidence. En revanche, faire du profit ? Quelle horreur !
Postulat et Vraie vie
Le postulat, marxiste, tel qu’il est enseigné :
Le travail crée la richesse.
Le produit du travail n’est pas entièrement reversé aux travailleurs.
La différence va au propriétaire des moyens de production ce qui constitue le capital.
La vraie vie : Si le travail en tant que tel, la production, créaient la richesse, nous serions tous riches. Il suffirait de réaliser une tâche à la sueur de son front, creuser un trou, le reboucher et recommencer indéfiniment par exemple, ou demander aux constructeurs automobiles de décupler leur production. Faire et défaire, c’est toujours travailler, disait-on.
Les «économistes» qui se succèdent sur les plateaux de télévision claironnent en 2024, qu’il est impératif de relancer la production, française (préférence nationale), et tout ira bien. C’est d’ailleurs pourquoi ils insistent sur le développement de l’industrie, uniquement ; les services ne générant pas de vrais emplois, d’après eux.
Or un bien n’a de valeur qu’au moment de l’échange, et cette valeur change à chaque transaction. Un «capital» n’échappe pas à la règle. Car le capital n’est jamais que de l’épargne issue du travail.
Alors ? Qu’est-ce que le capital ? C’est simple, c’est un outil de gestion, qui supplée le financement. Car seul le client finance l’entreprise.
Nous le verrons dans le prochain article. À suivre…
Alain Toullec1
Mon ami Alain C. Toullec est l’auteur de la pièce comique “Le Pont Sain d’Antoine” et un des auteurs de Libres !