La Liberté Manifeste - Chapitre 4 #4
En Libéralie, les entreprises sont de taille modérée de même que les territoires le sont : pour et par la concurrence.
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
La Société Libre - Suite et Fin
Élie : J’aimerais revenir sur l’impossibilité d’avoir un monopole en Libéralie. Pourriez-vous expliquer pourquoi les monopoles sont nécessairement d’origine étatique ?
Stéphane : On doit cette compréhension à Murray Rothbard dans son immense “Man, Economy & State”, où il fait ce distinguo important entre l’entreprise en “position dominante” et celle en “monopole”. La distinction entre les deux est simple : la seconde résulte d’une législation alors que la première résulte des choix du libre marché, donc de sa performance. Prenons Google comme exemple type de la position dominante : Google ne doit sa position qu’à sa seule performance et aux milliards de choix combinés de ses clients et utilisateurs au fil des années. Aucune obligation légale n’a jamais contraint les gens à utiliser Google. Il est possible et autorisé de faire concurrence à Google, comme le fait Microsoft par exemple.
Ces positions “dominantes” peuvent exister pour la simple raison que le marché aura statué, par leur existence même, qu’elles mettent en œuvre le meilleur mécanisme de production qui soit aux conditions actuelles. Si les conditions changent, qu’une ouverture nouvelle se fait jour, le rôle de la libre concurrence est précisément de le détecter et d’en tirer une offre.
Le cas du monopole est à l’exact opposé. Ainsi, la téléphonie mobile en France est un quasi monopole : même si quatre entreprises agissent sur le marché, il n’en demeure pas moins qu’il est interdit à une cinquième d’entrer sur ce marché et leur faire concurrence. Les quatre opérateurs, indéboulonnables, sont beaucoup moins poussés à l’innovation qu’autrement.
Tant que la concurrence est possible et légale, il ne peut donc y avoir de monopole, même s’il peut y avoir position dominante. Pour se convaincre que le monopole ne peut venir d’un marché libre, prenons les scénarios avancés pour prétendre le contraire. Ainsi, on affirme qu’un monopole aurait les moyens de casser les prix pour barrer l’accès à son marché. C’est oublier que la concurrence nouvelle se fait rarement sur les seuls prix, mais plutôt sur les produits ou services : le concurrent propose autre chose, difficile à comparer par le prix.
Si un nouvel opérateur de téléphonie devait arriver, il est probable qu’il proposerait des formules tout à fait différentes de ce que nous connaissons à ce jour, rendant la simple baisse des prix actuels bien moins efficace. Pour voir ce que la concurrence est réellement, le train est un exemple utile : il a beaucoup de concurrents au train, même avec le monopole de la SNCF : avion, bus et voiture sont ses concurrents, car ils offrent le même service de transport, plus général que le “service de train”. La concurrence invente et crée la surprise.
Élie : À quoi ressemblerait selon vous le tissu économique en Libéralie ? Quelles relations entretiendraient les entreprises avec les éventuels pouvoirs publics ?
Stéphane : Voilà un angle qui est trop souvent omis, merci de me permettre de l’aborder. Je répondrai tout d’abord à la seconde question, car elle éclaire la réponse à la première.
Rappelons que dans une Libéralie, société de Liberté, il n’y a aucun “pouvoirs publics” au sens où on l’entend habituellement. Il n’y a qu’un tissu plus ou moins complexe d’entreprises privées dont le réseau apporte les services associés d’ordinaire à ces “pouvoirs publics”. Dès lors, toutes les questions de connivence entre état et (grandes) entreprises, de corruption et de favoritisme sur les marchés publics, de collusion et de “combines” tombent d’elles-mêmes. On peut bien sûr encore trouver du favoritisme dans une telle société, mais il ne s’y exprime qu’au profit et au détriment de ceux qui le pratiquent, pas des contribuables.
Ainsi, sans “capitalisme de connivence”, comment s’imagine le tissu économique et surtout industriel ? Comme lorsqu’on remonte dans l’histoire aux débuts du capitalisme, selon trois axes principaux : l’entrepreneur individuel, la petite entreprise ou familiale, la grande entreprise non industrielle. L’entrepreneur individuel est assez clair, il s’agit de l’artisan, du commerçant, de la profession libérale, de l’infinité des métiers menés par des personnes seules sans organisation capitalistique particulière. La petite entreprise correspond au cas le plus simple de structure capitalistique, celui où un petit nombre de personnes collaborent et mettent du capital en commun pour créer une société par actions dont le capital ne fasse pas appel à des actionnaires externes, inconnus et anonyme - ce qui est le cas des sociétés cotées en bourse. Le dernier cas correspond à ces entreprises cotées, mais pour des activités plus spécifiques que les grandes activités industrielles que nous connaissons.
Pourquoi et comment cela ? Pour mieux comprendre, analysons rapidement le problème économique que pose la grande entreprise industrielle. Prenons l’industrie aéronautique pour exemple illustratif, la caricature étant sans doute un projet comme l’A380. Pour financer un tel produit, il faut une masse de capitaux considérable pour assembler savoir-faire et usines, pour étudier et concevoir l’avion, construire les prototypes puis les avions eux-mêmes avant que les ventes viennent combler les dettes accumulées jusque-là. Si l’avion est un succès, il ne peut l’être qu’un temps et assez vite se pose la question de la pérennité de tout ce capital et ces emplois. Si un autre projet vient et réussi, tout va bien. Sinon la ruine arrive et il s’agit alors d’une ruine de très grande ampleur, bien plus que celle qu’une petite entreprise peut subir. La taille est une force s’il y a succès, pas s’il y a échec.
Dans un tel scénario, la tentation est grande pour l’industriel, l’ensemble de son personnel et l’ensemble des prestataires qui le fournissent, de faire pression sur la collectivité pour qu’elle lui vienne en aide. C’est le phénomène dit des “too big to fail”, terme sorti en 2008 lors de la crise dite des subprimes, où les entreprises ou banques demandent à être sauvées - par l’état ou autres - de la faillite pour éviter la ruine de tout le tissu industriel qu’elles drainent.
Ce risque n’est pas intrinsèque à la grande entreprise capitaliste et c’est ce qui importe ici. Si l’on considère par exemple les entreprises proposant des croisières de vacances, qui doivent elles aussi investir beaucoup dans leurs navires, parce que ces navires sont aussitôt amortis à produire les services de loisirs proposés, la question du risque d’échec est bien moins forte que celle de l’échec d’un Concorde, par exemple. L’industrie en Libéralie est donc une industrie faite d’entreprises beaucoup plus petites, moins risquées, qui s’associent pour mener de grands projets, mais d’une manière où leur risque de faillite est bien moindre.
En résumé, en Libéralie, de la même manière que les territoires sont petits pour mieux adapter l’offre de résidence à la multiplicité des goûts et affinités, les entreprises sont aussi plus petites de manière à réduire leur risque de faillite face à la diversité de la demande.
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