La Liberté Manifeste - Chapitre 4 #3
L’immigration de masse est un signe de barbarie, non pas des migrants, mais des pays d’accueil.
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
La Société Libre - Troisième partie
Élie : J’entends votre réponse et le fait que la pollution est un problème local, qui appelle une solution décentralisée. Mais comment cette réponse délocalisée pourrait-elle s’adapter au cas où le pollueur et le pollué sont des personnes distinctes, éloignés géographiquement. Pour être plus clair : quelle réponse libertarienne au cas où je déverserais des déchets dans une rivière, ce qui viendrait polluer l’eau des habitants situés plus en aval. S’agit-il d’une violation du NAP ?
Stéphane : Merci Élie pour cet exemple parlant de situation dite “d’externalité négative”. Toute situation où une “externalité négative” semble se manifester est en réalité l’expression d’une organisation contractuelle qui n’a pas pu (ou voulu) (*) se mettre en place. Voyons cela.
Si l’on voit une rivière comme un “bien commun” qu’il faudrait ne pas polluer, ce qui est tout à fait concevable et légitime en soi, alors il suffit de l’organiser pour que des droits de propriété permettent de préciser ce que cela veut dire concrètement. Ainsi, si je considère la Garonne, qui m’est chère, on peut imaginer une Association des Riverains de la Garonne. Une telle Association aurait pour objet de créer ce lien juridique que vous présentez comme absent, duquel bien des possibilités peuvent émerger pour les riverains en tant que tels. En lien avec votre question, une forme de “règlement fluvial” de la Garonne devient aussitôt possible, certes, mais sous l’angle commercial, il devient également et légalement plus aisé de monter des projets d’exploitation du fleuve : ports, barrages, parcs aquatiques et autres.
Vous me direz que le fleuve est trop long pour qu’une seule association puisse constituer un juste équilibre entre la finalité et la proximité, la décentralisation chère aux libertariens - et ce serait pire s’agissant de fleuves comme le Nil, le Zambèze, le Mississipi ou l’Amazone, qui occupent tout un espace et non un simple sillon isolé. Qu’à cela ne tienne, il suffit d’imaginer un réseau associatif, où un ensemble imbriqué d’entités locales correspondant chacune à une zone fluviale aux besoins et réalités géographiques propres. Le jeu des accords d’une entité à l’autre, reportant de proche en proche les obligations convenues et les produits commerciaux, rend parfaitement inutile le concept d’externalité, qui oublie ces relations.
Vous me direz aussi que l’adhésion à une telle association n’a rien d’obligatoire, en Libéralie, ce qui rendrait vain et illusoire ce modèle de réseau associatif pour répondre à la question de la pollution. Cela rejoint la question que j’avais laissée en suspens (*) portant sur les raisons de la quasi inexistence de tels réseaux de nos jours. Elles sont certainement nombreuses, mais deux facteurs me semblent jouer principalement.
Le besoin, l’intérêt en premier. Pourquoi monter de telles organisations, complexes et coûteuses, si ce coût ne répond pas au besoin de réduire celui de la menace de départ, à savoir la pollution ? Si la pollution était un problème criant, il y a probablement longtemps que de telles structures se seraient mises en place. Surtout, l’immixtion des états vient freiner cette liberté associative. Le plus souvent, les lois régissant les cours d’eau rendent inutiles de telles associations parce que fleuves et rivières sont sous propriété publique et non plus privée.
Ce qui de plus permet de conclure que finalement, la première cause d’externalité négatives, si l’on doit accepter un tel terme, vient de la structure du droit positif lui-même. Dans un droit contractuel et libre, qui est souple par nature, il est facile d’adapter en continu les accords et les droits de propriété aux circonstances : inondations, opportunités, projets.
Élie : J’entends votre réponse et le fait que la pollution est en fait un problème local, qui appelle une solution décentralisée. Concrètement, quels acteurs pourraient remplacer l’État dans la protection de l’environnement ? Peut-on espérer qu’ils atteignent le même niveau d’efficacité s’ils ne sont pas coordonnés par une institution planificatrice, comme le fait un ministère ?
Stéphane : La question de la coordination d’acteurs dispersés est en effet souvent objectée, face à la décentralisation chère aux libertariens. Il faut noter que c’est là une question d’ordre plus économique que strictement de Liberté, mais son analyse a en effet des conséquences majeures sur la légitimité de notre conception du monde libre, éloignée de tout jacobinisme.
Votre question présuppose que la décentralisation ne pourrait pas conduire à une attitude “efficace” face à la pollution parce que non-coordonnée. C’est la posture utilitariste même, par excellence. Parce que l’interlocuteur ne sait concevoir un concept d’efficacité autre que monolithique, il conteste en avançant que ce qui ne le serait pas ne pourrait avoir la même “efficacité” que sa conception. C’est en réalité un reflet de sa propre limite de perception.
Que veut dire ce “monolithique” ici ? Simplement que l’efficacité prend un sens très différent selon les situations locales et individuelles, alors que l’utilitariste écologiste tente et prétend pouvoir l’exprimer au niveau de la Terre entière. Si en France il peut être “efficace” de limiter sa consommation de bois de chauffage, peut-on en déduire qu’au Sahel il leur faut la réduire aussi, alors que c’est leur seul moyen de cuire leurs aliments et de se nourrir pour survivre ? Cet arbitrage que tout le monde doit faire entre vivre de la nature et la protéger se heurte à la réalité du terrain, s’il est fait trop globalement. Voilà la limite de perception que j’évoque.
Ainsi, la réponse a été apportée de manière très complète par les économistes autrichiens, depuis fort longtemps. Carl Menger répond par la subjectivité de la valeur (économique), puis Ludwig von Mises par l’impossibilité du socialisme, et enfin Friedrich von Hayek par son célèbre discours de prix Nobel, “The Pretense of Knowledge”, les deux traitant de l’arbitrage.
Carl Menger établit la subjectivité de la valeur, de “l’utilité” qui motive l’action humaine. Cette subjectivité rend impossible et illusoire toute prétention à une entité unique de valablement affirmer ce qui serait “efficace” ou pas, ce qui serait “pollution” ou pas. Ludwig von Mises a établi que pour que cette subjectivité puisse valablement s’exprimer sur un marché, encore fallait-il que le droit de propriété ait un plein sens et une pleine réalité pour que les arbitrages se fassent en harmonie. Ce qui fut complété par Hayek sous l’angle de la diffusion chez les hommes de l’information économique qui leur permette un tel arbitrage, soit le rôle des prix.
Je ne fais que résumer des résultats fondamentaux de théorie économique, il n’y a aucune opinion libertarienne dans ce rappel. Mon message, c’est qu’il est scientifiquement établi de longue date que la “planification” centralisée menée par quelque entité que ce soit ne peut jamais, en aucune manière, être “efficace” car elle est tout simplement impossible, au sens de son impossibilité à approcher l’équilibre, l’arbitrage, l’harmonie que le libre marché révèle. Ce qui reste incroyable, preuve du néfaste étatique, c’est que certains le fantasment encore.
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