La Liberté Manifeste - Chapitre 1 #3
Comment trouver une issue, la Liberté, non pas en suivant la voie politique, mais en la dépassant ?
(Suite de l’épisode précédent, ici.)
Iaenzen : Stéphane, si l’on considère comme prémisse la doctrine du libertarianisme en sa totalité comme étant une évolution naturelle de celle du libéralisme, peut-on étendre cette évolution aussi au concept de Liberté ? Autrement dit : cette Liberté qui dans le libertarianisme est fondée sur la propriété, l’était-elle dans la même mesure dans le libéralisme ? Ou, au contraire, la compréhension de la Liberté fondée sur la propriété est-elle restée inchangée durant cette évolution doctrinale du libéralisme vers le libertarianisme, et les différences existant s’appuient-elles plutôt sur d’autres facteurs ?
Stéphane : C’est une excellente question, merci. Je vais tenter de répondre en trois temps : le concept de Liberté en soi, puis l’évolution de sa compréhension, et d’autres facteurs qui selon moi ont joué de toute manière. Il me semble ainsi important de clarifier tout de suite que le concept de Liberté, tel qu’il a joué entre les Hommes de tout temps, dans les faits sinon dans la compréhension consciente qu’ils pouvaient en avoir, n’a probablement jamais changé, et que je doute qu’il changera jamais.
La raison est assez simple, elle vient de la compréhension que nous avons désormais de la Liberté. En effet, si la Liberté est l’expression du Droit naturel, lequel n’est autre que la conceptualisation d’une vie sociale civilisée et pacifiée, alors il s’agit d’un concept qui a connu une réalité depuis la nuit des temps, même si bien sûr avec tous les soubresauts violents dont l’Histoire peut témoigner.
Ainsi in fine, si l’Homme n’avait su se civiliser au moins en partie, nous ne serions pas ici pour en parler, la violence non maîtrisée aurait déjà achevé la destinée humaine. Notre existence est ainsi un témoin empirique d’une pratique intemporelle de la Liberté, même si souvent incomplète et imparfaite.
S’agissant du concept de Liberté dans le libéralisme, on peut dire sans beaucoup se tromper qu’il a à la fois toujours été le même et pourtant qu’il a mûri et évolué dans sa conscience et son expression avec le temps et les penseurs. Ainsi, le lien entre Liberté et propriété fut exprimé dès John Locke, que beaucoup considèrent comme le point de départ du libéralisme. Cependant, Locke ne sut concevoir une théorie de la propriété et du Droit naturel aussi solide que celle que les libertariens contemporains ont depuis pu apporter à la doctrine, par exemple en la dégageant de tout lien avec la religion.
On trouve dans l’histoire du libéralisme plusieurs auteurs qu’on peut qualifier de proto-libertariens, signifiant par là que chacun d’eux a pu exprimer une pensée encore plus aboutie, annonciatrice des libertariens, sans l’être complètement encore. Des noms comme Benjamin Constant et Frédéric Bastiat sont parmi les plus connus, alors qu’il faut attendre Gustave de Molinari pour que le modèle minarchiste soit explicitement dépassé. Durant cette évolution de la prise de conscience et de la conceptualisation (plus) complète des liens entre Liberté et droit de propriété, divers facteurs - je ne prétends certes pas les donner tous - ont joué qui ont contribué à l’évolution parfois tortueuse de la pensée libérale.
Trois me semblent spécialement mériter d’être évoqués rapidement. Sous l’angle théorique, il faut évoquer les utilitaristes qui ont tenté d’exprimer, de modéliser la Liberté par la “non-nuisance à autrui”. Ce sont eux qui sont à l’origine de l’emploi du verbe “nuire” de l’Article IV de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, issue de la Révolution française. Cette “nuisance” a fait glisser sémantiquement la Liberté hors du strict droit de propriété vers l’utilitarisme collectiviste, avec assez de poids pour que cette confusion soit parvenue jusqu’à nous, via le rôle institutionnel de la DDHC et son incidence politique via la généralisation de la démocratie.
Plus tard, et dernier grand facteur selon moi, le glissement démocratique s’est aggravé avec l’avènement de la social-démocratie et le glissement sémantique associé du terme “liberal” aux États-Unis vers une connotation parfaitement socialisante qui ne fit qu’éloigner dans l’esprit du plus grand nombre la Liberté du droit de propriété.
Iaenzen : J’ai la sensation que la Liberté vue par le libéralisme se fonde autour des institutions, tandis que le libertarianisme accorde plus de valeur à l’individu. Par là j’entends que l’individu dans le libéralisme existe en fonction du marché, alors que dans le libertarianisme le marché existe en fonction de l’individu… Est-ce que vous partagez cette impression qui est la mienne ?
Stéphane : Je comprends, et vous avez en partie raison, mais je crains que ce soit plus complexe dans la réalité, et cette complexité est d’ailleurs à mon sens un signe de la confusion de la grande majorité des libéraux. Car on en trouvera qui mettront l’individu au centre de leur réflexion, d’autres qui seront en effet concentrés sur l’économie et le marché, d’autre encore ne jureront que par la démocratie, et beaucoup combineront les trois.
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