La «Démocratie du Consensus» ?
Le "consensus" ne peut fonder la société humaine. Sauf celui, minimal, du choix de la Liberté individuelle.
Commettants
Un débat récent m’a amené à interagir avec un représentant d’un de ces nombreux groupes plus ou moins anarchistes (au sens libertaire) cherchant à réinventer notre société (pourquoi pas) sur la base d’une démocratie magique où leur rêve de pleine égalité prendrait enfin toute sa réalité, hélas chimérique, grâce au «consensus». En l’espèce, ce monsieur se faisait le promoteur d’un groupe dont le site web les unis sous la bannière des «Commettants». (Page Facebook ici.)
Lors de nos échanges, j’ai plusieurs fois tenté de lui faire toucher du doigt la contradiction fondamentale qu’il y a entre le concept de démocratie et celui de consensus, et même entre consensus et Liberté, mais je dois dire, sans réussir à débloquer sa boîte à logique, hélas.
Bien sûr, j’ai bien tenté de lui signaler le théorème de Kenneth Arrow, qui généralise le paradoxe de Condorcet pour montrer qu’il n’existe (ni ne peut exister) aucun mécanisme, ni processus ni algorithme, neutre et symétrique envers les membres d’un groupe quel qu’il soit, permettant de prendre des décisions reflétant l’insaisissable «intérêt général» dudit groupe. Et donc que toute affirmation, comme il le fait, de découverte d’une telle martingale du consensus politique ne peut en réalité être autre qu’une forme plus ou moins élaborée ou illusionniste de l’arbitraire, ou d’égaux étant plus égaux que d’autres.
Image principale du site des Commettants. On s’y croirait.
Ce monsieur ayant poussé jusqu’à me mettre au défi de venir soutenir ma thèse en débat public devant ses coreligionnaires1, j’entreprends de vous associer ici à la découverte de quelques bijoux de textes «juridiques» que ce groupe a concoctés à ce jour pour prétendre mettre à mal le résultat d’Arrow.
Consensus, quid ?
Afin de mieux lancer le sujet, je vais tout d’abord tenter de le poser dans des termes que je veux, de bonne foi, être les plus proches de ce que je crois saisir de la compréhension que ce groupe peut avoir de ces deux termes pour qu’on soit dans autre choses qu’une trivialité ou une caricature.
Je précise que je n’ai pas trouvé la moindre définition, ni de la démocratie, ni du consensus sur le site web des Commettants2. J’ai donc cherché ailleurs, pour finir par retenir celle donnée par Universalis. J’en ai gardé les deux extraits repris ci-dessous, le premier donnant l’objectif du consensus en politique, le second en donnant la dimension pragmatique liée au comment il peut être obtenu.
« On peut, dès lors, définir le consensus. C’est cet accord général minimal qui fait qu’une société est une société, que les individus qui en sont membres reconnaissent les mêmes valeurs, se conforment aux mêmes normes et s’interdisent mutuellement l’usage privé de la violence dans la solution de leurs conflits. »
Je trouve cet objectif fort intéressant, vu par un libéral. En effet, la dernière partie sur le refus de la violence paraît très proche du principe de non-agression des libertariens, la nuance étant que la violence n’est pas bannie par les libertariens quand elle est motivée par la légitime défense. De même, se conformer à des normes est assez proche de la formation de normes sous l’effet de contrats explicites ; la grosse nuance cependant portant sur l’exigence de libre consentement des libertariens, qui est absente de cette définition du consensus, on y reviendra.
Là où les choses deviennent bien plus floues, c’est concernant les «mêmes valeurs», car ce terme est fort vague et n’est en général pas de nature à se manifester en termes de normes, sauf à entendre par là de relatives évidences sociales comme le «respect de son prochain».
Toujours est-il, le point délicat est d’une complexité bien plus grande, puisque quoi qu’on entende par les notions précédentes, il s’agit de trouver ou atteindre un «accord général minimal», ce qui est bien le concept habituel qu’on attache le plus souvent au consensus dans la langue commune. Un tel accord n’étant pas caractérisé, bien sûr parce qu’il n’est pas caractérisable de manière unique et définitive, on est condamné à se ramener à convenir de la manière de l’obtenir. D’où ce qui suit :
« Comment se forme un concours unanime parmi des individus séparés ? » Envisagée de cette façon, la notion de consensus implique l’analyse des mécanismes et des procédures qui font naître la décision collective. »
Et sans surprise, in fine, comme il n’est pas possible de définir ni de caractériser le consensus, les membres des Commettants finissent par produire des textes décrivant les processus et institutions qui seraient selon eux en charge de faire émerger ce fameux consensus indéfinissable. Nous voilà donc bien à retomber sous la coupe du théorème d’Arrow, mais même si on en connaît à l’avance l’issue, le but de ce texte est d’entrer dans le concret de leurs « institutions » et processus pour en montrer les principaux types d’erreur, qui ont toutes chance de se retrouver chez les nombreuses autres initiatives de la même veine.
Usine à gaz démocratique. Mais issue du consensus, c’est cela qui compte…
Conception générale, à défaut de principes
Mais revenons au site des Commettants et à la réalité de son contenu. La première chose que j’ai cherchée, outre des définitions, comme évoqué plus haut, ce sont les principes fondamentaux qui puissent servir de référence à tout l’édifice intellectuel supposé échafaudé par ce groupe. Il est certes possible qu’ils m’aient échappés, toujours est-il que je n’en ai trouvé aucun d’exposé et de justifié comme tel. Aucun principe, cela augure mal de la cohérence globale de ce système politique.
À la place, la page de présentation du mouvement propose un tour d’horizon de la conception du système, dont une simple phrase pose l’objectif général, puis une présentation des 5 pouvoirs qu’ils prévoient (oui, pas trois, mais cinq), puis une liste des avantages présumés de ce superbe système. Voici donc l’objectif :
« Les Commettants ont pour objectif de modifier la Constitution pour mettre en place les principes de la Démocratie consensuelle qui permettra aux Françaises et aux Français de définir toute la législation. »
On ne dit pas comment on prévoit de remplacer la constitution actuelle, mais laissons cela pour le moment. On nous parle bien de «principes», tant mieux, même si on ne les voit pas, à part celui qui suit, à savoir qu’il importe à ce groupe que la législation soit définie par le peuple.
Soit. Mais comment fait-on pour s’assurer que le peuple tombe d’accord avec cet objectif et avec cette vision des choses ? Car personnellement, par exemple, je n’entends pas du tout qu’on m’impose une telle «démocratie», fût-elle issue d’un «consensus populaire». Alors, on fait quoi de moi et des gens comme moi ?
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