Anecdote
Il y a déjà quelques années, je me trouvais en réunion face à des professionnels de la grande distribution, des professionnels du négoce et du commerce. Je ne sais plus pourquoi, mais qu’importe, arrive alors dans la discussion l’idée que nous pourrions mettre des choses en commun, que nous pourrions partager des savoirs ou capacités.
Aussitôt, la réaction d’un de ces distributeurs fuse, vivement : «Partager ? Ce n’est pas vraiment une pratique que nous apprécions chez nous, nous préférons de loin échanger de la valeur.» C’est une des rares fois où j’ai entendu au sein des grandes entreprises une once de compréhension de la nature gagnant-gagnant, win-win, de l’échange spontané.
Ainsi, ce vilain «marchand» n’appréciait pas le partage, lequel pourtant est sur toutes les bouches bien-pensantes et bienveillantes. Le partage est «bien», justement parce qu’il semble évident que chacun obtient ce qu’il désire et surtout qu’il ne profite pas des autres — ce n’est pas bien de profiter des autres, de les exploiter, c’est bien connu.
Et si c’était ce vilain marchand qui avait raison ? Et si la moralité et la justice sociale étaient dans l’échange libre, spontané et non pas dans le partage ? Sauf en Legoland…
Immoralité & Misère du Partage
Ainsi, pourquoi cette expression de rejet du partage de la part de ce professionnel — qui semblait en plus parler au nom de son entreprise, sinon de toute sa profession ?Pour le saisir, il faut comme souvent dans ces colonnes, revenir à la propriété privée — car toute éthique sociale prend la propriété privée comme fondement structurel.
Lorsque Alice partage — disons — 1Kg de riz avec Bruno, elle transfère 50% de sa propriété privée à Bruno pour en conserver 50%. C’est ce qu’un partage signifie. Elle avait le plein droit de faire ce que bon lui semblait de tout son riz, elle a transmis ce droit à Bruno pour 50% du riz et le conserve pour les 50% restant. Jusque là, il n’y pas de problème éthique ou moral. Parce que j’ai implicitement supposé qu’Alice avait pris cette décision de partager son riz en pleine liberté, en plein auto-consentement.
Mais si Alice se trouve dans une communauté où le partage de tout avec tout le monde est la règle, son consentement1 n’est plus pris en considération. Dans ce cas, il lui est pris sans son accord explicite tout ou partie de son droit2 de propriété. C’est un vol.
Mais il n’y a pas qu’un vol dans le partage obligatoire. Il y a aussi un appauvrissement. Car le partage entre Alice et Bruno ne crée aucune richesse, aucune valeur nouvelle. Alice avait gagné ce riz — peu importe comment ici — chose qui lui avait donc apporté une certaine satisfaction Sa, la voilà désormais réduite à Sa/2. Certes, Bruno quant à lui a gagné une autre satisfaction Sb, et probablement Sb ~ Sa/2, mais ce gain lui est venu sans qu’il ait contribué à la création d’une richesse nouvelle quelconque.
Moralité & Richesse de l’Echange
Dans un monde d’échange — libre, consenti et spontané — il en va tout autrement. Alice a son kilo de riz, elle sait que Bruno aurait besoin de 500g de ce riz, elle envisage de lui proposer. Mais elle n’est pas prête à sacrifier le produit de ses efforts pour autant. Elle sait que Bruno peut lui obtenir du lait et du sucre, ça tomberait bien pour préparer un dessert. Elle lui propose son riz contre lait et sucre. Elle y gagnerait, mais Bruno aussi gagnerait à obtenir ce riz, qui lui coûte à lui plus que du lait et du sucre.
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