Droit de propriété des données personnelles ?
La menaces sur les données personnelles ne vient pas des entreprises, elle vient du Léviathan.
Génération L’Hydre
Depuis quelque temps, Génération Libre (GL) et Gaspard Koenig mettent en avant un nouveau concept qui, selon eux, serait de nature à faire avancer la Liberté, notamment notre « liberté numérique ». Ils parlent ainsi de la « propriété des données personnelles », supposée venir en réponse à la croissance, réelle, de la menace sur notre protection et notre intimité sur les réseaux.
GL a publié deux rapports sur ce thème, je prendrai celui que je crois le plus récent pour référence, accessible ici.
Avant de me lancer dans son analyse, j’invite le lecteur à se référer à mon article donnant un tour d’horizon assez complet du concept de propriété chez les (vrais) libertariens, dont la dernière partie aborde le droit et la propriété dans le domaine informatique, qui est notre contexte ici. L’article conclut pour affirmer qu’il n’y a aucune base valable pour parler de droit de propriété en informatique, il m’a donc interpellé que GL et GK imaginent pouvoir mettre cette position en défaut.
Evidemment, il n’y a pas de miracle, nous allons voir que c’est bien le concept GL-esque qui pose problème, et qui ne constitue pas une base libérale miraculeuse pour traiter la question de la protection des données personnelles – même si cela reste une idée porteuse d’un relatif intérêt.
À cet égard, ce qui motive la présente critique doit être clarifié. Quand on entend la proposition de GL en tant que libéral, on se dit instinctivement que, oui, utiliser l’idée de la propriété privée est bien une idée qui sent bon la Liberté, ce qui interpelle positivement. Oui, de plus, il y a réellement un problème de protection de ces données sur le Net, donc l’intérêt est a priori double. Hélas, la réalité du concept n’est pas pleinement à la hauteur de la promesse.
La légende de la protection des données personnelles via le « RGPD ».
Données Personnelles : Le Rapport
Une lecture rapide du rapport à la recherche de la description de cette notion de propriété des données conduit à repérer tout d’abord la synthèse suivante, que j’étudie juste après :
« Un marché oligopolistique
L’économie du numérique se caractérise par une forte concentration car différents effets renforcent naturellement la position des gros acteurs.
Le RGPD, règlement général sur la protection des données entré en application en mai 2018, échoue à favoriser la concurrence, et à contre-emploi, pourrait nuire à l’innovation.
Redonner le pouvoir aux internautes
Pour GenerationLibre, c’est par l’introduction d’un système de prix, subtil équilibre entre marché et régulation, que l’on peut protéger la confidentialité des internautes tout en promouvant la concurrence dans un véritable marché. Ce rapport introduit deux modèles de patrimonialité des données personnelles, l’un contractualiste, l’autre propriétariste. »
Ensuite, à la recherche des deux modèles de « patrimonialité » annoncés, qui finalement sont la seule promesse d’intérêt dans ce rapport, on tombe sur les deux extraits repris et étudiés ci-dessous. Dans le but d’un équilibre entre précision et concision, je me limiterai à analyser ces trois extraits.
Trois Idées, Trois Idées Fausses
Prenons chacune des trois phrases de la synthèse (je mets de côté la dernière, annonçant les modèles ci-dessous). La première étant la première, on attend d’elle de poser les enjeux les plus forts. Or que met-elle en avant ? Concentration et « gros acteurs » : on imagine les habituels « GAFAM » (Google, Apple, etc.). On comprend, ce n’est pas dit clairement, que ces gros acteurs posent problème ; ce serait d’eux dont il faut se méfier, dont nos données doivent être protégées.
Je me garderai de dire que cela est totalement faux, mais comme libéral, je conteste que la première menace envers nos données vienne de chez ces acteurs. La première menace pour la Liberté est toujours et en toute chose l’état. C’est pourtant facile à mémoriser. Le domaine ne fait pas exception. Car si je ne vois pas bien comment Google peut me nuire, je vois par contre très bien comment l’état peut abuser d’informations à mon égard pour me contraindre.
Deuxième phrase, GL évoque le RGPD pour le critiquer, et il faut s’en réjouir. Mais il fallait aller jusqu’au bout, ne pas se contenter de l’évidence. Evidemment qu’une réglementation freine et nuit à l’innovation et à la concurrence, cela est vrai de toute réglementation. Il aurait été plus pertinent de faire remarquer que la menace étatique sur nos données ne peut pas être réduite par une directive étatique, et que le marché libre sera forcément plus efficace que le RGPD à les protéger.
RGPD qui devrait d’ailleurs être plus ouvertement remis en cause, puisque son concept et son application contribuent largement à propager l’idée que la menace viendrait des entreprises, quand elle vient d’abord des états qui prétendent nous protéger des entreprises.
Vient ensuite une phrase avec des propositions, dont il faut bien peser chaque expression, car elles valent leur pesant de cacahuètes. Ils proposent d’abord « l’introduction d’un système de prix ». Un système de prix, c’est un marché, c’est même LE marché. Sinon, c’est artificiel et cela nécessite alors quelque monopole ou réglementation pour exister hors du marché libre et autrement que spontanément. Autrement dit, des prix, cela ne s’introduit pas quand on pense Liberté, les prix véritables résultent de l’offre et de la demande, libres.
Juste après se confirme la confusion : « subtil équilibre entre marché et régulation » seraient ces prix. Hélas, trois fois hélas, il n’existe pas de tel ventre mou : un marché, et un prix, est libre, ou il ne l’est pas. Si on imagine un peu de « régulation », c’est-à-dire de réglementation en bon français, c’est qu’on est sorti de la Liberté et du libre marché. GL ne feraient-ils pas confiance au marché ?
Enfin, ils finissent de plonger en imaginant « promouv[oir] la concurrence dans un véritable marché ». Là encore, on cherche l’évidence impossible. Un marché « véritable » se définit, se caractérise par la concurrence, qu’il n’y a dès lors pas besoin de promouvoir puisqu’elle agit d’elle-même. La concurrence ne se promeut pas, elle résulte de la recherche de valeur par clients et entrepreneurs. En clair, ils parlent de marché, mais ils pensent contrainte législative.
J’arrêterai là pour ce premier extrait. On voit aisément que nous nageons dans une grande confusion, dans un bain de gloubi-boulga dont le masque libéral cache un étatisme bien marqué.
Les données personnelles sont-elles réellement si personnelles ?
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