«Dilemmes Ethiques» des Grandes Entreprises
On n'a de dilemmes éthiques que lorsqu'on est sorti de l'éthique.
Témoignage
L’autre jour, au siège social d’une grande entreprise inscrite au CAC 40, je ne pus éviter de lire une affiche destinée à la «communication interne» arborant avec une fière et candide sincérité que la Direction faisait face à un «dilemme éthique». Je fus aussitôt interpelé par la contradiction véhiculée par la juxtaposition de ces deux mots. Normalement, on est éthique, ou pas. Mais un dilemme en éthique, c’en n’est déjà plus.
Le Larousse m’informe de deux définitions pour «dilemme» :
«1. En logique, alternative entre deux propositions sémantiquement ou formellement incompatibles.
2. Obligation de choisir entre deux partis qui comportent l’un et l’autre des inconvénients.»
Quant à «éthique», il m’informe de ses deux variantes :
«1. Partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale.
2. Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu’un.»
Sans grande surprise, j’ai donc bien confirmation que cette entreprise s’attache à s’enorgueillir d’une saine morale, mais que ce faisant, elle ferait face à une contradiction quant aux principes qu’elle entend suivre et appliquer. Je veux faire le bien, mais parfois le bien m’apparaît comme le mal et le mal comme le bien. Et je vous annonce que je ne sais trop que décider faire…
En complément et pour confirmer, le Directeur en charge de ces sujets dans cette entreprise s’est exprimé sur le sujet en ces termes (on retrouvera facilement l’extrait) :
«Nous assurons la formation des collaborateurs afin qu’ils puissent identifier et traiter les dilemmes éthiques»
Ah !? Donc finalement, on saurait «traiter» (et non résoudre, notez bien) les dilemmes ?
Le nom de l’entreprise importe peu, car il me semble que ce témoignage concerne et reflète la situation «éthique» dans laquelle de très nombreuses entreprises se trouvent de nos jours. Ce que je trouve intéressant, c’est de dégager des pistes d’explication, puis de remettre l’église au milieu du village en affirmant qu’il n’y a en réalité aucune raison d’imaginer un tel dilemme. L’éthique, la vraie, ça ne connaît pas de dilemme.
Ça Fait Sérieux
Mais revenons tout d’abord sur l’affiche. Quand j’étais jeune, il y a bien longtemps, les choses étaient simples. Aucune entreprise ne se posait de questions d’éthique. Elle fournissait des produits ou des services ; ce faisant elle respectait la loi, ou pas. Le bien, c’était de rendre service à ses clients ; le mal, c’était de les voler – ou de voler ses partenaires. En cas de vol, de mise en danger ou de fraude, la justice était là pour remettre de l’ordre – à hauteur de ce que la législation pouvait garantir comme ordre, bien sûr. Un Directeur s’exprimant sur l’éthique de son entreprise aurait été incongru : Entre vous satisfaire et vous voler, mon cœur balance, je m’interroge, j’hésite ; et je le dis publiquement…
Mais de nos jours, les choses sont plus compliquées. La gôche et les zécolos étant passés par là, l’entreprise doit justifier qu’elle n’est pas un méchant exploiteur de travailleurs. Qu’elle n’exploite pas les gentils et pauvres enfants forcés de travailler pour elle. Qu’elle ne pollue pas. Qu’elle se soucie du climat. Qu’elle est «sustainable». Qu’elle est ceci, qu’elle est cela. Elle doit s’excuser de faire des profits, car les profits, c’est mal !! L’éthique se lit dans le Marx de café !
Pourtant, ses actionnaires et investisseurs ne lui laissent guère de doute : Si vous voulez du capital pour fonctionner et vous développer, il faut nous rémunérer des bénéfices que vous aurez réalisés. Ses bénéfices sont directement en rapport de la satisfaction qui aura été apportée et qui aura été reconnue par les clients.1
Voilà tout le dilemme : Moi entreprise, je dois faire des profits car le profit c’est bien – je rends service et j’en suis récompensée – mais « enmême temps» c’est mal de faire des profits.
Alors, pour bien souligner combien le Directeur moderne est attaché à rassurer tout le monde, pour faire sérieux sur la place publique, il dit à tout le monde qu’il a parfaite conscience de cette tension, qu’il est fier de l’avoir bien en tête et qu’il veille à prendre chaque jour les meilleures décisions grâce à cette prise de conscience. Ça fait bien d’avouer avoir un dilemme, ça crédibilise.
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