Comment revenir à la Liberté ?

Susciter une vague de sécessions spontanées un peu partout, que l'état ne pourra pas repousser par déliquescence.

« En ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. » – George Orwell

Révolution ? Démocratie ?

Alors qu’on a vu les défauts de la société actuelle, ceux de sa structure, et qu’on a dégrossi la société libre, il s’agit d’aborder la ou les manières d’espérer la rejoindre en partant de notre social-démocratie actuelle.

Pour mettre en place ou avancer vers une Libéralie, la première idée qui vient sans doute est celle de la révolution. Notre histoire en est riche et nous continuons chaque 14 juillet d’en fêter la plus connue, malgré le nombre de têtes qu’elle fit tomber. Or pour un libéral, les morts sont un risque intolérable. Certes, le principe même d’œuvrer pour la Liberté reste une révolution, mais on ne saurait se lancer aveuglément dans l’effusion de sang. Renverser le pouvoir serait de la légitime défense, mais dans un pays à l’esprit quasi-communiste, il y a trop de risques que la foule nous pousse à recommencer un épisode de la Terreur. Donc la révolution sanguinaire, out, on laissera cela aux rouges.

La seconde idée qui vient et que beaucoup soutiennent, c’est tout simplement de profiter de notre chère démocratie, âprement gagnée. Puisque nous pouvons voter, et donc influer sur le choix des hommes politiques, nous pouvons espérer choisir des porteurs du projet libéral qui ne manqueront pas de nous libérer.

Mais si cela est possible, vu que la démocratie s’impose peu à peu dans le monde, pourquoi le monde n’est-il pas déjà plus libre – politiquement – qu’il le fut ? Par exemple, les pays les plus libres au monde sont-ils toujours des démocraties ? Et les démocraties les plus authentiques sont-elles autant de flambeaux de la Liberté ? Non, deux fois. Monaco est bien plus libre que la France alors qu’il s’agit d’une principauté et les États-Unis ne sont plus le pays de la Liberté depuis longtemps. Et ne parlons pas de la Chine démocratique.

Au passage, il faut noter une contradiction profonde de cette piste. À supposer que des libéraux prennent le contrôle d’une démocratie, ils resteraient dans une organisation étatique, incarnant eux-mêmes le pouvoir honni. La Liberté que le libéral recherche est plus exigeante, elle demande de dissoudre cet état.

Impasse démocratique

Cette impasse qu’est le vote démocratique est assez souvent mal comprise pour s’y attarder. La raison de l’échec est systémique. La soi-disant démocratie française par exemple est conçue pour être indéboulonnable. Ainsi, même si nous en sommes à notre cinquième république, les constitutions successives n’ont jamais voulu ni pu remettre tout le système en cause. Les préfets remontent à Bonaparte, les sénateurs ont besoin des maires pour se faire élire et chaque institution tient les autres par le jeu des pouvoirs et des budgets.

Sans même parler de l’incohérence libérale à tenter de prendre le pouvoir, au lieu de nous le rendre, la voie démocratique est tout simplement illusoire. Il est dommage que certains partis ne semblent pas le comprendre. On m’opposera peut-être les projets de type Free State ; j’en parle plus bas.

Par ailleurs, ce qui frappe et fonde l’espoir libéral, selon moi, quand on observe les élections, c’est la part des abstentionnistes, énorme. Que nous disent les abstentionnistes ? Sûrement chacun une chose différente, mais probablement l’immense majorité se trouve-t-elle quelque part entre « ça ne sert à rien » et « je n’y crois plus » ou « tous pareils ». Peu à mon sens sont vraiment dans le « je m’en fiche » car ils se sont déplacés. De plus, il est peu probable que l’évolution de la fiscalité, de l’insécurité et du chômage laisse grand monde de marbre. Beaucoup de libéraux, par exemple, ne votent plus parce qu’ils en ont assez de voter contre Untel et non pour la Liberté.

Donc une part significative de notre population sent bien qu’elle est en fait impuissante et prise au piège, mais ne sait pas comment s’en sortir. Le premier frein à leur action, au renouveau de leur espoir et de leur exigence de Liberté, c’est avant tout de se rendre compte, de savoir qu’un monde libre est possible, et peut exister.¹ Même avec toutes ses limites, si tous les abstentionnistes se réveillaient avec l’exigence de Liberté, le système démocratique serait probablement assez ébranlé pour fléchir, voire se transformer en profondeur. L’enjeu fondamental de notre Liberté tient donc en très grande partie au réveil intellectuel de la population. Vaste chantier, mais c’est le nôtre.

Réveiller à la Liberté

C’est pour cette raison que plusieurs mouvements investissent le champ de la formation des jeunes. C’est pour cette raison que les libertariens travaillent à occuper l’espace de la communication politique. C’est pour cette raison que je, nous publions sans relâche. Pour diffuser nos idées, pour réveiller de plus en plus de monde à la Liberté et peu à peu amener les abstentionnistes et tous les autres à exiger, voire à bâtir eux-mêmes, la Liberté qu’ils avaient oubliée.

On dit souvent que la Liberté viendra de la victoire des idées. Je pense que c’est une erreur. Les idées libérales ont gagné depuis longtemps, elles sont les seules à la fois cohérentes, réalistes et humanistes. Elles existent, ce sont les bonnes. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est les faire connaître, voir de plus en plus de gens qui se rendent compte qu’elles sont l’avenir du monde, et le leur.

Internet à cet égard est clairement un outil fantastique. Il permet une foule de nouvelles approches aboutissant à toucher directement les individus, en échappant aux systèmes censurés en place comme la presse et l’enseignement public. Mais il est plus prometteur encore. Sa structure décentralisée est en elle-même la base qui nous garantira que de plus en plus de structures sociales virtuelles et libres s’organiseront par-dessus lui et nous permettront de plus en plus de court-circuiter le pouvoir politique.

Projets concrets

Parmi les pistes de Liberté rendues possibles par la technologie et qui se développent à grand pas, il y a le « seasteading », l’installation en mer. Les terres étant toutes sous domination étatique, ainsi que les côtes, l’idée consiste à conquérir la haute mer, puisqu’elle n’appartient à personne. On voit ainsi des projets fleurir où des bateaux, des plateformes mobiles ou pas, ou d’autres conceptions qui feront les villages et villes libres de demain. Toutes ces structures porteront des organisations sociales proches de notre idéal anarcap, même si forcément on verra autant de variantes qu’il y aura de navires. C’est un des espoirs les plus concrets actuels de voir une société libre émerger.

Une autre piste concrète qui se développe peu à peu nous vient des Free State Projects, le plus connu étant dans le New Hampshire, mais il y a aussi celui du Tessin, ou Ticino, en Suisse. Ces projets cherchent à exploiter la voie démocratique et légale pour renverser le régime en place. Ils visent des états de petite taille et déjà assez libéraux où il serait possible de prendre le pouvoir si un nombre assez grand de migrants libéraux s’y installent. C’est une idée intéressante, mais encore faut-il pouvoir s’installer dans le pays visé, sans que la population autochtone finisse par y trouver à redire. L’expérience à ce stade montre que ce n’est pas gagné. À suivre cependant.

Faire sécession

Et fait, ces deux derniers exemples sont des cas particuliers d’une stratégie plus générale et généralisable de conquête pacifique de la Liberté en ce monde : la sécession. La sécession consiste, pour un territoire et ses habitants, à déclarer leur autonomie, leur indépendance, leur scission du pouvoir étatique en place. Il y a des exemples récents dans le monde, tels en Afrique du Sud, le Lesotho et le Swaziland qui sont sortis de la fédération historique. Le schéma général est assez simple. Une ville, un département, un canton, une région décide (comment, c’est là une autre question, mais idéalement ce doit être sans violence) de constituer un territoire libre où le régime de la Libéralie régnera désormais. C’est la stratégie que les grands penseurs libéraux, spécialement Hoppe, pensent la plus adaptée à notre monde, et j’y adhère.

On oppose souvent à ce scénario qu’il serait naïf, simpliste, vu qu’il est très facile pour la France par exemple de tuer dans l’œuf et dans la violence la moindre initiative d’une malheureuse commune ou région dans ce sens. Il suffit de voir combien d’énergie est mise dans la lutte contre les indépendantistes (certes violents) basques, corses ou bretons. Mais cette remarque manque en réalité de lucidité, à mon avis.

Car l’état socialiste s’appauvrit. La violence locale monte alors que police et justice n’ont pas les moyens d’être partout. L’armée partie au Mali n’est pas dans les casernes. Viendra donc un moment, plus proche que beaucoup l’imaginent, où l’état sera incapable de faire face à une vague de sécessions locales. Imaginez Toulouse, Rennes, Lille, Strasbourg et Nice déclarer leur indépendance en même temps ou presque. Ou mieux, cinquante communes en cinquante endroits très différents. Une guérilla de la sécession. Imparable.

Ainsi, si je m’engage au quotidien dans la communication et l’explication, c’est parce que je pense qu’Internet nous permettra sous peu – quelques années peut-être, une génération plus probablement – de susciter une vague de sécessions spontanées un peu partout sur le territoire, que la France ne pourra pas toutes repousser du fait de sa déliquescence, et qui même si elles échouent pour certaines, constitueront la première étape, la première vague de la vraie révolution libérale et pacifique que nous espérons tous.

Stéphane Geyres, in #ÉclairsDeLiberté

1. Ainsi, les temps anciens, d’avant la démocratie, furent à bien des égards bien plus libres que notre monde actuel, entre autres parce que la technologie ne donnait pas à l’état les moyens d’une oppression et d’une surveillance constantes, comme il le peut désormais.