S’il y a une justice sociale, qui en est le juge ?
La société libre n’est ni juste ni injuste, elle offre juste à chacun de choisir son chemin.
Justice sociale ?
La « justice sociale » est probablement le terme le plus représentatif de la société dite moderne et de sa social-démocratie grandissante. C’est pourtant aussi un des plus vides de sens. Il y a peu de partis politiques qui osent écarter ce terme du revers de la main ; il est peu de conversations où contester l’idée même de justice sociale soit sans risque. La justice sociale semble aller de soi.
Or si on ne peut que convenir des inégalités de situation criantes qui existent dans la société, inégalités qui ne sauraient être ignorées par les libéraux, quelle est donc la réponse qui convient ?
Argumentaire
L’idée de justice sociale exprime une confusion profonde sur le rôle réel de la société envers chacun d’entre nous. Car si nous naissons égaux en droit (naturel) – mais guère en réalité – nous ne naissons jamais égaux tout court : les différences de génome, de culture et de géographie existent et perdureront vraisemblablement éternellement. Ce sont d’ailleurs ces différences qui sont sources de richesse en permettant aux uns et aux autres de jouer des rôles complémentaires au sein de la société et d’échanger.
Et parce que cette inégalité est une réalité profonde, le fonctionnement social naturel en a pris acte depuis longtemps. Mais les socio-démocrates n’ont pas su le voir. Non, le rôle de la société n’est pas de rendre tout le monde identique. Il est d’assurer à chacun qu’il pourra améliorer sa situation s’il sait s’en donner les moyens – et que les aléas de la nature ne le frappent pas plus que quiconque.
Dans cette optique, la société n’est ni juste ni injuste, elle offre juste à chacun de choisir son chemin. Il n’y a donc pas de justice sociale autre que celle d’assurer à tous et chacun le respect du droit.
Contestations
Certes, à gauche, on ne manquera pas de nous objecter que dans un monde « évolué », on ne saurait ignorer les immenses inégalités de situation qui mineraient la société, sans trop chercher plus loin.
Or il ne faut pas confondre inégalités et injustices. On ne peut parler de justice qu’en rapport à des actes individuels. Quel est donc celui qui est coupable des inégalités en général ? Dieu ? Ou bien serait-ce l’individu, tel le riche, comme beaucoup aiment à l’affirmer, ou faut-il finalement chercher du côté de l’état ?
Il y a deux manières de tenter de réduire les inégalités économiques. Intervenir vers le bas, en taxant, en « redistribuant » des richesses figées, en pénalisant les entrepreneurs au profit des moins audacieux. On partage alors le même gâteau, sans chercher à le faire croître. Intervenir vers le haut, par contre, en garantissant l’égalité du droit qui permet à chacun de prendre sa chance, les laisse venir faire grossir le gâteau, sans gêner les autres à faire de même grâce au droit respecté. Voilà la « justice sociale ».
Toujours à gauche, on ne pourra sans doute résister à avancer que certains touchent beaucoup trop. Mais comment sait-on ce qui est trop ou ce qui ne l’est pas ? Quel est la mesure, le seuil ? Un « trop » qui serait injuste suppose une forme de vol, de fraude ou d’abus. Mais celui qui gagne beaucoup parce que ses produits rencontrent le succès ne vole personne, au contraire : il faut être deux pour un échange et la richesse d’un entrepreneur est le témoin de la richesse acquise par ses clients.
Bien sûr, cela n’est plus vrai dès que celui qui « touche trop » profite d’un monopole ou d’une rente. Mais dans ce cas, la faute en revient à celui qui accorde le monopole, c’est-à-dire à l’état.
Sujet d’actualité depuis des décennies, l’économie libérale, avec le chômage par exemple, ne donnerait pas vraiment sa chance à chacun, ce qui démontrerait cette fameuse injustice. Pourtant, le chômage n’est en rien une fatalité, il n’a pas toujours existé, ni n’a aucune raison d’exister quand il y a liberté.
Ni l’économie, ni le marché n’est coupable. Il est une conséquence simple et bien connue de l’effet de seuil issu du salaire minimum sur le marché du travail, et de tous les freins du code du travail en général. Ils augmentent le coût et la rentabilité attendue du salarié, excluant plus de moins compétents. Ce sont donc les gouvernements qui, par leur intervention, ont faussé le marché.
Dans la même veine, il est courant d’entendre que contrairement à sa promesse, l’économie libérale ne récompenserait pas ceux qui travaillent. Double erreur. Ce n’est pas le travail qui importe à la société, mais ses fruits. Il est donné à tout le monde de travailler. Le mérite ne vient que lorsque ce travail engendre de la valeur pour les autres.
Surtout, qui peut se placer en juge qui sanctionnerait le mérite ou pas ? Le gouvernement ? L’état ? La presse ? Les syndicats ? Non, l’immense avantage en matière de justice de l’économie de libre marché vient précisément du marché en tant que juge lui-même. Autrement dit, c’est à la fois tout le monde et personne précisément qui juge à tout instant de la valeur par sa décision d’achat, ou pas. Bien malin qui trouvera plus neutre que ce juge-là.
Citations
« J’en suis arrivé à sentir très vivement que le plus grand service dont je sois encore capable envers mes contemporains serait de faire que ceux d’entre eux qui parlent ou écrivent éprouvent désormais une honte insurmontable à se servir encore du terme "justice sociale". » – Friedrich Hayek
« Je vous mets au défi de nommer une seule mesure sociale qui a atteint ses objectifs plutôt que le résultat opposé, qui n’a pas fait plus de mal que de bien. » – Milton Friedman
« Laissez-moi vous fournir ma définition de la justice sociale : je conserve ce que je gagne et vous conservez ce que vous gagnez. Vous n’êtes pas d’accord ? Dans ce cas dites-moi quelle part de mon revenu doit vous revenir, et pourquoi ? » – Walter E. Williams
« Le mensonge de notions comme la « justice sociale », qui nous conduit à déployer la violence contre des innocents, n’est qu’une des ruses du Mal pour agir dans le monde. » – Christian Michel
Stéphane Geyres, in #ÉclairsDeLiberté