Panne Ibérique
Il y a quelques jours, l’Espagne, le Portugal et le Pays basque français perdaient soudain, ensemble, toute leur production électrique pendant 10 à 20 heures, jetant une véritable panique chez leurs habitants, à l’heure où toute notre vie repose sur l’électricité.
L’explication la meilleure que j’ai pu entendre avance en substance ce qui suit :
Pour des raisons historiques et géographiques, les réseaux de distribution de ces trois régions sont fortement interconnectés, ce qui explique la panne commune.
Par ailleurs, ces dernières années, l’Espagne a profondément changé sa stratégie de production électrique, pour dépendre aujourd’hui à plus de 75% de grandes centrales photovoltaïques indépendantes.
Sur le marché électrique européen, le système de prix régulerait chaque quart d’heure l’équilibre entre production et consommation, du moins pour la production conventionnelle. Mais pour le renouvelable, en cas de surproduction, leurs prix seraient mis “en négatif”, afin de d’assurer en priorité l’équilibre du conventionnel.
Lors du «black out», un pic de surproduction aurait conduit à ces prix négatifs, suite à quoi tous les producteurs renouvelables se seraient déconnectés du réseau, de manière à ne pas être pénalisés. Ce retrait brutal de quelques 75% de la production aurait alors effondré le réseau de distribution de toute la péninsule.
Que ce soit ou non la bonne explication, la seule réalité d’un «black out» à cette échelle met en lumière (!) que la logique d’un réseau de distribution international et d’un pseudo marché aux règles incongrues ne sont pas à même d’assurer la résilience de la fourniture d’électricité au consommateur individuel.
Résilience dont dépendent, pourtant, de plus en plus de services (hôpitaux, alimentation, sécurité, informatique, banque et monnaie, transports, etc.), de plus en plus critiques pour l’individu comme pour les communautés.
Ma proposition consiste à montrer que dans ce domaine encore, la décentralisation et l’ordre spontané entrepreneurial auraient trouvé, ou pourraient trouver, des stratégies tout autres présentant pourtant de bien meilleures caractéristiques que l’imbroglio actuel.
Mythe du Stockage
Pour aborder avec plus de recul la question électrique, il faut commencer par se dégager de la pression venant de l’exigence continue de ne jamais surproduire, alors qu’il est toujours impossible de savoir à l’avance ce que sera la consommation effective. Ce qui est étonnant, c’est que c’est une chose relativement facile à régler. Il suffit de stocker les surplus et les libérer lors des pics de consommation.
On nous a toujours dit que, justement, le stockage est très difficile ou très coûteux. Il faudrait pouvoir disposer de batteries gigantesques, ce qu’on ne sait pas faire à coût et sécurité raisonnables avec le savoir-faire chimique actuel. Mais cela est très, très, loin d’être aussi évident.
Ce n’est pas l’objet de cet article de détailler un tel projet, mais le principe d’une batterie gravitationnelle de grande capacité est très simple à comprendre. Imaginez une tour de 20+ étages et de lourds blocs de granit identiques. Des jeux de grues et poulies permettent de hisser les blocs dans les étages supérieurs, ou au contraire de les redescendre. Disons que monter un bloc d’un étage consomme 100KW. Lors d’une période de charge, les grues montent les blocs dans les étages. Le temps peut passer, ce potentiel est conservé. Pour libérer les MW absorbés, la batterie laisse tout simplement redescendre des blocs pour faire tourner ses alternateurs.
Certes, une telle batterie nécessite une conception précise pour être la plus efficace possible, mais on voit bien qu’il n’y a pas besoin de batterie chimique pour stocker l’énergie. Il faut au contraire se demander comment il se fait que de telles batteries gravitationnelles ne sont pas déjà en place un peu partout, tant la technologie en est élémentaire.
Résilience Locale
Une fois le mythe du stockage dénoncé, revenons à la production électrique. Imaginons le département des Landes, assez vaste, mais peu peuplé. Sur tout le département, deux centrales, plutôt petites : une pour Mont de Marsan, l’autre pour le reste de la population. À côté de chaque centrale, une batterie gravitationnelle, où elle se déverse. Tout au long de l’année, la centrale produit à régime régulier et Mont de Marsan est alimentée. Pendant l’été, il y a surproduction et le granit monte peu à peu dans les étages. Pendant l’hiver, il en redescend. Dans certaines situations, il y a parfois besoin que l’autre centrale vienne en soutien, ou l’inverse : d’autres blocs de granit descendent ; on les refera monter plus tard.
Chaque couple (centrale - batterie) fonctionne en autonomie, les ruptures pour sur- ou sous-production sont très improbables et leur résilience est encore accrue par le soutien mutuel entre les deux centrales. Pas de problème de réseau de distribution qu’il faut maintenir équilibré à tout moment, car la distribution est réduite à sa plus simple expression.
Le problème de nos centrales atomiques, c’est qu’elles sont beaucoup trop puissantes pour être au cœur d’un tel modèle. Mont de Marsan consomme 7800 MWh/an à peu près, à comparer aux 8,4 TWh/an produits par un seul réacteur à Golfech, par exemple, soit plus de 1 million de fois plus. Le choix d’un nucléaire puissant a induit le besoin d’un réseau de distribution à l’échelle de tout le territoire pour répartir cette puissance, avec les problèmes très complexes qu’il pose.
Mosaïque de l’Electricité
Le lecteur aura déjà compris que dans la Mosaïque des 1001 Liechtenstein, celle qui figure l’organisation des territoires libres dans le monde libre de demain, la production de l’électricité a bien plus de chances de ressembler à ce que j’ai imaginé pour les Landes qu’à ce que nous connaissons en France aujourd’hui. Dans cette Mosaïque, donc, il y a résilience et les problèmes de distribution restent structurellement simples.
J’ai volontairement laissé de côté le type de centrale (nucléaire, gaz, charbon, renouvelable, barrage) qui sera préféré, car cela dépendra beaucoup des situation (en montagne, les barrages sont plus probables) et que cela ne change rien à l’argumentaire présenté. De plus, avec la décentralisation de la production augmente la concurrence entre les entreprises qui offriront leurs services de production, et donc la probabilité augmente d’espérer voir poindre des offres renouvelables et nucléaires attractives.
Enfin, dans la Mosaïque, on peut même imaginer que certains petits territoires se spécialisent exclusivement dans la production électrique, au profit des territoires voisins qui alors n’ont plus à se préoccuper d’installer ou pas une encombrante batterie gravitationnelle…
Une fois encore, la liberté et la décentralisation permettent de trouver des solutions différentes que ce que le jacobinisme n’en finit pas de nous imposer…
Stéphane Geyres