Le libre arbitre, «scientifiquement réfuté» ?
On a besoin du libre arbitre fûté pour espérer voir la science le réfuter.
Fûté, le réfuté ?
La Liberté individuelle étant le concept et la revendication qui menace tous les collectivismes et multiples formes de tyrannies, elle fait l’objet régulier de nombreuses attaques de ses principes fondamentaux. Ainsi, parmi ces principes, le libre arbitre qui, s’il devait pouvoir être démontré comme vide de sens et infondé, ouvrirait alors grande la porte de la remise en cause de la Liberté.
(Cela dit, si le libre arbitre n’existe pas, il n’existe alors pas non plus pour les politiciens, fonctionnaires et autres étatistes. Si tout le monde est “déterminé”, le pire serait que des “bien déterminés” jettent du sable coercitif en plus dans les rouages grippés du “contrat social”...)
Cet article aurait pu être écrit à peu près n’importe quand, tant le sujet revient souvent sur la scène. Mais c’est à la découverte d’un livre et d’une vidéo que je me suis convaincu de devoir y répondre. Livre et vidéo qui expriment l’opinion de Jean Robin, un libéral conservateur aux positions souvent tranchées ; néanmoins je tiens à préciser tout à fait nettement que l’analyse qui suit de ces deux documents se veut strictement indépendante et neutre envers ce monsieur. Le seul sujet qui m’intéresse ici est la thèse qu’il défend dans son livre et dans sa vidéo, à savoir :
que le libre arbitre n’existerait pas ; et surtout,
qu’on aurait réussi à le « réfuter scientifiquement » – thèse de son ouvrage.
Définition & Démarche
Au début de sa vidéo, Jean Robin propose sa définition du libre arbitre et pose le débat, qu’il me semble intéressant de prendre comme point de départ – j’y reviendrai :
Il ne s’agit pas de « la capacité pour l’homme de décider par lui-même », mais de « sa capacité à décider librement » et en particulier à « s’extraire de la loi de la causalité ».
Pour structurer mon analyse tout en gardant de la concision, et pour le lecteur qui n’aura ni lu le livre évoqué ni regardé la longue vidéo, je propose de m’appuyer sur le résumé disponible sur Amazon, qui je crois suffit largement. Je le reproduis juste en dessous, avec un bref commentaire à chacune de ses six phrases. Puis je développe mon argumentaire point par point. Voyons cela.
Présentation
« Si vous êtes rationnel et que vous croyez au libre arbitre, c’est soit que vous n’êtes pas aussi rationnel que vous le croyez, soit que vous ignorez les faits que contient ce livre. »
Il n’y aurait qu’une manière d’être rationnel, et elle passerait par l’empirisme (les « faits ») et la causalité (leur enchaînement).
« Oui, nous sommes déterminés par tant de facteurs et à un tel niveau que notre libre arbitre est totalement, complètement et définitivement annihilé. »
Nous sommes influencés par bien des choses, bien sûr. Est-ce suffisant pour être « déterminés » ?
« Ce livre vous en apportera toutes les preuves nécessaires, bien qu’il ne contienne pas toutes les preuves existantes, qui sont trop nombreuses pour tenir dans un livre, ni même dans une encyclopédie. »
Aucun besoin de beaucoup de preuves. Une preuve suffit, si c’est une preuve. Davantage, c’est louche.
« Quiconque d’honnête aura lu ce livre ne pourra dès lors plus croire (car il s’agit d’une croyance) au libre arbitre, mais seulement au déterminisme le plus total de notre être, l’être humain. »
Le libre arbitre – une fois le terme clarifié – n’a rien d’une croyance, c’est un constat.
« On pouvait encore débattre du libre arbitre après les débats philosophiques, psychologiques, ou psychiatriques sur ce sujet. »
Depuis quand la science, ou la preuve scientifique, pourrait-elle rendre la philosophie caduque ?
« On ne pourra plus en débattre après les principales preuves scientifiques réfutant littéralement le concept de libre arbitre chez l’homme aient été apportées. Car le libre arbitre vient d’être réfuté scientifiquement. »
Cela paraît difficile. Car on a besoin de son libre arbitre pour espérer voir la science le réfuter.
Points d’observation
À ce stade, pour enfin entrer dans l’analyse, il me semble qu’il faut tout d’abord couper le libre arbitre en tranches, pour mieux y voir à travers. Car quand on évoque ce concept, on oublie trop souvent de garder le point d’observation à l’esprit. J’en distinguerai trois, il y en a peut-être d’autres.
Jean Robin évoque les neurosciences qui tentent d’expliquer le fonctionnement du cerveau. On est dans le comment. Quand il évoque « décider par soi-même », il pense à notre vécu interne, à notre conscience. Pourtant, pour ma part, et comme tous les philosophes politiques, je me place en observateur externe, social, de la décision humaine. Le libre arbitre qui compte pour la Liberté, c’est celui qui s’observe par les autres, qui fait de moi un être social. Un peu comme le test de Turing, ce qui compte, c’est que je ne sois pas un robot : qu’importe à autrui comment je « fonctionne ».
Auto-Test de Turing
Ainsi, si le libre arbitre est la manifestation observée à décider et agir par soi-même, il est facile à démontrer. Aucun besoin de science. Le test de Turing suffit largement. Il est très simple : si quelqu’un, quiconque, par exemple Jean Robin, me montre qu’il est capable de se lancer, spontanément et sans contrainte coercitive apparente, dans un débat sur le libre arbitre, alors il fait preuve d’une capacité d’auto-décision impossible à distinguer de celle d’un humain disposant de ce libre arbitre social observable que je précise au-dessus.
Le libre arbitre « social » est donc incontestable : il se constate. Et vouloir le contester nous fait au contraire l’exhiber. Tant mieux, la Liberté est donc sauve.
Rationnel
Maintenant que les fondamentaux sont posés, revenons rapidement sur chacune des six phrases exposées plus haut.
La première appelle à être rationnel et à partir des faits. C’est là une erreur qui relève du scientisme, qui imagine que « la science » primerait sur toute autre forme de raisonnement.
Jean Robin sait-il que les chercheurs scientifiques, tous ceux qui passent un doctorat, obtiennent ce que les anglo-saxons appellent un « PhD », c.-à-d. une Philosophical Dissertation ? Depuis toujours, la science n’est qu’une branche de la philosophie et ne saurait la remplacer. Il y a donc, et pour longtemps encore, de vastes domaines de la pensée où le raisonnement philosophique est plus à même d’apporter des réponses que la seule, pauvre méthode empirique.
Ainsi, aucune analyse des « faits » ne pourra jamais se substituer au test de Turing en matière d’humanité.
Déterminés
Ici, la confusion est entre déterminer et influencer. Il est bien évident que chacun que nous sommes est à chaque instant sous l’influence combinée d’une foule de personnes et de facteurs. Et que cela joue sur notre décision. C’est évident et je ne le discute absolument pas.
Je défends d’ailleurs le concept de « signature d’influences », qui nous caractérise chacun sans doute, cet ensemble unique et fluctuant de toutes les influences qui agissent sur notre personne et personnalité à tout moment.
Pour autant, il y a un monde entre influencer et déterminer. Pour reprendre l’analogie robotique, si le concepteur et programmeur d’un robot en détermine probablement le comportement, ce qui n’est même pas si sûr, j’aimerais bien qu’on m’explique et qu’on m’exhibe cet incroyable programmeur qui déterminerait le mien.
Preuves
Pour ce qui est des preuves, la confusion est au niveau des trois points d’observation. Les preuves venant des neurosciences se placent dans le champ du comment : on aurait observé que le cerveau « pense » plus vite et malgré nous, cela suffirait pour prouver que nous ne sommes pas maîtres de nos pensées.
Au passage, on oublie de voir que dans ces expériences (telle celle de Libet), les sujets sont venus de leur propre chef dans les laboratoires, ce qui veut dire que les chercheurs ont présumé leur libre arbitre avant même de tenter de l’observer.
De plus, la question du libre arbitre n’est absolument pas celle du comment cela se passe. Peu importe comment le cerveau pense et décide : au bout du compte, l’homme-robot finit par se comporter vis-à-vis des autres comme un libre penseur, et socialement, c’est la seule chose qui importe.
Le nombre de preuves a peu d’importance quand le champ du débat n’est pas celui de la preuve.
Croyance & Philosophie
À l’inverse de la preuve, il y aurait forcément la croyance. Mais alors, où se place la philosophie ? Ou bien les mathématiques ?
Faudrait-il désormais être capable de démontrer empiriquement que 2+2=4 pour encore oser prétendre qu’il s’agit d’un théorème ? Faut-il donc de la “causalité” ?
Ah mais, me dira-t-on, les maths, ce n’est pas pareil, voyons. Notre sujet n’est pas mathématique !
En effet, il ne l’est pas. Mais il est philosophique. Purement philosophique.
De plus, j’ai expliqué clairement ci-dessus que le libre arbitre vient bien de la réalité, car nous le constatons. Tous, tout le temps.
Dès lors, où est la croyance ?
Réfuter
Pour finir, vient le mot important, celui qui fait l’article : scientifiquement réfuté.
À ce stade de l’article, le lecteur aura compris que la science n’a rien réfuté du tout. Car elle ne le peut pas. Elle ne peut parler que de ce qui relève de son domaine.
Surtout, il faut voir que la démarche scientifique suppose le libre arbitre. Car pour pouvoir mener une expérience scientifique, il me faut supposer que je suis capable, et librement capable, de la concevoir de manière pertinente et de juger de ses résultats, ou de recommencer autrement en ayant imaginé comment les améliorer.
Dès lors, comment pourrais-je me lancer dans une démarche scientifique sans aussitôt réfuter l’inexistence de mon libre arbitre ?
Je vous laisse conclure.
Stéphane Geyres
Umh, le libre-arbitre de Jean Robin a décidé à sa place, de nier le libre-arbitre ! Comme ça, Jean Robin peut bien faire absolument n'importe quoi, il n'est pas responsable de ses actes. C'est commode comme posture si Jean Robin flingue quelqu'un. Il s'est d'office dédouané de son acte et pourra ainsi déclarer à la victime, c'est pas de ma faute si je t'ai flingué.
N'approchez pas Jean Robin, ce type là n'est pas fiable, c'est un fataliste qui pourrait vous flinguer comme un rien sous prétexte qu'un jour vous devez mourir.
Dans la même veine, Sam Harris commet le même genre d'absurdité que Jean Robin, avec l'argument fallacieux supplémentaire "Nous de créons pas nos propres pensées, elle surgissent".
Il a même pondu un livre (contre son gré apparemment) pour bien expliquer que ce n'est pas lui qui l'a écrit :
https://www.amazon.fr/FREE-WILL-Sam-Harris/dp/1451683405